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arts magiques. Il confessait aussi la mère de Juliette et avait souvent affaire dans leur maison, et dans la maison non-seulement des autres Capulet, mais encore des Montaigu, et entendait en confession la majeure partie de la ville. »

Roméo se rend donc chez le frère, et Leonardo, après y avoir mûrement réfléchi, après s’être long-temps recueilli et consulté avec lui-même, promet de prêter les mains à une alliance qui, discrètement dirigée, ne peut manquer, selon lui, d’amener plus tard l’union de deux familles puissantes et de faire le bonheur de Vérone. D’ailleurs, Leonardo n’ignorait point que telle était la politique du seigneur Bartolomeo della Scala, dont les efforts multipliés, s’ils n’avaient encore pu réussir à rétablir entièrement la paix entre les Capulet guelfes et les Montaigu gibelins, commençaient du moins à obtenir de part et d’autre qu’on se saluât, et que les plus jeunes voulussent bien céder le pas aux plus vieux.

Le projet dûment convenu, il ne s’agissait plus que d’attendre une occasion favorable pour l’exécuter, l’approche des fêtes de Pâques vint l’offrir. « Ce temps de quadragésime est une époque où on se confesse ; Juliette se rendit donc avec sa mère à l’église de San-Francesco en citadelle, et étant, selon les instructions de fra Leonardo, entrée la première, le père minorite, abaissant aussitôt la grille, la maria à Roméo, qui d’avance avait pris place dans l’autre partie du confessionnal. » Deux ou trois nuits après, le mariage fut consommé, grace aux bons offices d’une vieille servante de la maison (d’una scaltrita vecchia di casa), qui introduisit l’époux chez sa femme. Cependant on comptait sur la parole de fra Leonardo, qui, s’aidant au besoin de l’autorité souveraine du seigneur Bartolomeo della Scala, devait intervenir auprès des grands parens et faire accepter d’eux le fait accompli. — Fidèle à la promesse qu’il avait engagée et profondément attaché à ces deux jeunes gens, dont, par un stratagème qu’excusait sa tendresse pour eux non moins que son amour de l’humanité, il avait consacré la passion devant Dieu, le moine avisait à un moyen d’arriver à ses fins, et, se préparant à livrer assaut, avait déjà fixé pour sa démarche le jour qui suivrait les solennités de Pâques, lorsque le déplorable événement de la porte Borsari vint sinon renverser à jamais l’espérance d’une réconciliation entre les deux familles, du moins indéfiniment l’ajourner. Provoqué par Tybalt de telle sorte qu’il ne lui reste d’autre ressource que de mettre l’épée à la main, Roméo tue le frère de Juliette d’une estocade dans la gorge (d’una stoccatta nella gola), et s’enfuit à Mantoue, « pour être encore proche de sa bien-aimée et pouvoir se concerter avec elle par l’intermédiaire de fra Leonardo. » Sur ces entrefaites, à l’hôtel Capulet, on parle de marier Juliette. Effrayée et ne sachant quel parti prendre, la jeune fille a recours, comme de coutume,