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voudront, libre à eux ; mais, en attendant que la bonne humeur leur revienne, qu’on m’envoie ici le corps de ballet. » La négociation ne rencontra d’autres empêchemens, et deux jours après les jolies délaissées s’abattaient sur Vérone de toute la rapidité aérienne de leurs ailes de gaze. Puis, comme messieurs les Lombards trouvaient le tour de mauvais goût : « De quoi vous plaignez-vous ? leur répondit-on ; de ce qu’on vous a pris votre corps de ballet ? Alors pourquoi n’en profitiez-vous pas ? A votre indifférence, il m’a semblé que vous n’en aviez que faire, et j’ai procédé en conséquence. Maintenant il est ici, et je le garde ; tant pis pour vous si vous le regrettez : une autre fois, vous serez plus sages. » - Et c’est ainsi, ajouta en souriant notre voisin, que les roses de Bagdad furent transportées à Shiraz par sa hautesse Radetzky-Khan. Que pensez-vous de la plaisanterie ? Ici nous la trouvons charmante, mais nous ne sommes que des barbares. Convenez qu’en France elle eût soulevé de terribles tempêtes aux jours de la monarchie, si quelqu’un de vos princes se la fût permise ; je ne parle pas du moment actuel, car il est convenu qu’en république tout arrive, comme disait M. de Talleyrand.

J’ai vu en Italie quelques opéras récens, entre autres l’Attila et le Macbeth de Verdi, compositions qui sont loin d’être dépourvues d’intérêt, je dirai même d’autant plus remarquables, que naturellement on les compare aux déplorables nouveautés qui se produisent autour d’elles. Macbeth surtout a de la grandeur et du caractère : je n’insisterai pas sur la partie fantastique de l’œuvre, traitée par le maestro à l’italienne, c’est-à-dire avec un assez médiocre sentiment du genre ; mais tout ce qui se rapporte au mouvement scénique, à la physionomie shakspearienne du drame, est ordonné magnifiquement et d’une main vigoureuse et sûre : Verdi porte au plus haut point, dans certains endroits de cette œuvre, cette intelligence de la situation qu’il possède. Entre tant d’opéras écrits sur ce sujet, celui-ci est du moins le premier qui m’ait sérieusement rappelé l’œuvre du grand poète. Il est vrai que du commencement à la fin la musique s’attache au poème et ne le quitte plus : depuis le sabbat des sorcières jusqu’à la forêt qui marche, tout s’y trouve, sinon rendu avec un égal bonheur, du moins audacieusement attaqué de front, et ces hardiesses, qu’on noterait ailleurs, empruntent ici de la qualité même du musicien une signification particulière. Il ne s’agit plus en effet d’un de ces opéras de pacotille où sont cousues à la hâte d’oiseuses mélodies qui, retirées de leur cadre originel, s’appliqueraient aussi facilement à la première imagination venue : il s’agit bel et bien du Macbeth de Shakspeare mis en musique, d’une tragédie conçue dans les plus grandioses conditions du drame lyrique, et qui, en d’autres temps, eût aidé à la régénération d’une école ; mais, hélas ! comment régénérer ce qui est mort ?