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de ces hébergeages et de ces granges ! Les Anglais mettraient leurs ruines dans des écrins, comme s’il ne devait plus s’en faire dans leur pays ; nous, on nous en promet qui feront perdre bien de leur prix aux anciennes. Ne s’agit-il pas de faire crouler la société nouvelle sur les fils de ceux qui l’ont fondée ?

Mes compagnons de voyage prirent sans doute mon isolement pour une marque de la légèreté française. À leurs yeux, je fuyais la science positive. Vraiment non ; je me cherchais. L’heure du départ vint m’arracher à mes rêveries. On se remit en route, mes compagnons de promenade plus riches d’un léger savoir, moi remportant, avec mon ignorance, un peu plus de cette mélancolie, lacrymœ rerum, qui croît chaque jour en devenant de moins en moins amère, et qui nous accompagne jusqu’à la fin de la vie, sans doute pour nous préserver de mourir lâchement.

Pourtant, s’il est une ruine d’une date certaine par l’accord de la science et de la tradition, qu’un événement historique, un personnage populaire, une grande infortune, ont rendue célèbre, je préfère à une vague rêverie l’intérêt de notions précises qui m’instruisent et me touchent. C’est ce que je rapportai d’Hardwicke-Castle, dont les ruines ont été autrefois la prison de Marie Stuart. Voilà un de ces noms qui éveillent tout ce que nous avons de pitié, voilà une de ces infortunes dont nous sommes inconsolables, quoique la sévérité de l’histoire ne nous permette plus de douter qu’elle ait été méritée[1].

Le vieux château d’Hardwicke était le manoir de John Hardwicke d’Hardwicke, gentilhomme campagnard qui vivait dans le milieu du XVIe siècle. Il n’en reste qu’une aile fort délabrée, qui regarde le nord. Ses murs noircis par le temps, un lierre qui l’enveloppe à demi comme un linceul, semblent annoncer le débris d’une antique prison. La seule chambre demeurée intacte, et qu’on appelle la chambre des géans, est admirée pour ses belles proportions. L’ameublement qui servit à Marie Stuart a été transporté dans le nouveau château, bâti à gauche de l’ancien. La pièce la plus intéressante de cet ameublement est le lit de Marie, en partie brodé de ses mains. C’est ce lit qui a vu tant de nuits sans sommeil, tant de gémissemens étouffés, tant de pleurs dévorés, et aussi tant de rêves d’évasion et de retour à l’air libre et à la puissance. Le temps a effacé les couleurs et usé la trame du couvre-pied, ouvrage de ses doigts délicats, occupation de sa captivité. La vue d’un tombeau n’est pas plus triste que celle de ce lit. Cette magnificence fanée, ce dais, ces panaches aux quatre angles, ont un air de corbillard, vrai tombeau en effet, puisque toutes les espérances de cette

  1. C’est ce qu’a prouvé admirablement, tout en nous laissant notre pitié, M. Mignet, dans une suite de treize articles insérés au Journal des Savans.