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quelle idée les deux Robespierre, Saint-Just, Le Bas, Couthon, Marat lui-même, entendaient-ils renverser la vieille société que la bourgeoisie tremblante s’efforçait vainement d’étayer ? Quelles croyances professaient ces hommes-là, et de quelle terre nouvelle entrevoyaient-ils l’avènement de leurs hallucinations sanglantes ?


I

Le jacobinisme est une protestation de la nature déchue contre la loi qui, depuis dix-huit siècles, travaille à la relever. Depuis le sacrifice du Calvaire, l’ame humaine a une destinée trop haute et a été rachetée à trop haut prix pour demeurer soumise, dans les choses de la conscience, à un autre pouvoir qu’à celui de Dieu même, s’exerçant par l’intermédiaire de l’institution spirituelle soutenue et inspirée par lui. De là cette distinction des deux puissances, base de toute la civilisation moderne, demeurée inébranlable lors même qu’au moyen-âge une complète harmonie entre les croyances et les mœurs, entre les enseignemens dogmatiques de l’église et les intérêts politiques de l’état, faisait concorder les deux pouvoirs dans une action commune. Ce fut cette distinction des deux puissances par laquelle l’homme avait conquis la plénitude de sa dignité morale que le jacobinisme prétendit enlever au monde ; c’est un retour aux idées sur lesquelles s’appuyaient les sociétés polythéistes qu’il est venu présenter comme une doctrine de régénération et de progrès.

Dépositaires des traditions primitives, gardiens des fragmens épars de vérité par lesquels vivait le monde, les gouvernemens des sociétés antiques étaient en même temps des sacerdoces. Le patriotisme du citoyen romain émanait d’une foi profonde, et son dévouement était une immolation quotidienne aux vérités surnaturelles dont la ville sainte conservait le dépôt, et que ses patriciens avaient seuls mission de dispenser aux peuples. La tentative commencée par le jacobinisme et reprise de nos jours en sous-œuvre consiste à rendre aux pouvoirs publics la souveraine autorité qu’ils exerçaient dans les temps antérieurs au christianisme, en dépouillant ces pouvoirs du caractère religieux qui avait été le principe de cette autorité même. Abaisser l’individu pour grandir la nation, rendre à la puissance publique l’extension qu’elle a perdue depuis l’avènement dans le monde du véritable pouvoir spirituel, faire refleurir enfin le dévouement sans la dévotion, en suscitant des Décius philosophes et des Cincinnatus sensualistes, tel fut le but où tendait, dans ses aspirations sauvages, l’école qui avait formé son léger bagage philosophique des souvenirs de Plutarque et des apophthegmes de Rousseau.

Confondant la sphère où vivent les ames avec celle où s’écoule la vie