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Fouquier-Tinville et à Sanson ; la mort de Mme Élisabeth, celle du vieux Bailly, du vieux Malesherbes, du jeune Chénier, si elles ajoutaient quelque chose à l’opprobre du gouvernement révolutionnaire, n’ajoutaient rien à coup sûr à sa sûreté, et sur cinq mille personnes juridiquement guillotinées, la plupart avaient été saisies dans l’obscurité de leur vie privée, en dehors de la lutte armée des partis. Il fallait chaque jour au minotaure révolutionnaire, pour sustenter sa vie, un contingent et comme une catégorie déterminée de victimes ; il dévorait aujourd’hui les parlementaires, demain les fermiers-généraux, une autre fois les savans et les poètes, tout ce qui avait enfin respiré le souffle de la vieille société, à laquelle Dieu envoyait une si terrible expiation. Ce fut au moment où le comité de salut public, délivré des enragés par la mort des hébertistes et des modérés par le supplice de Danton, ne voyait plus se dresser aucun obstacle sur le sol de la France asservie, qu’il imprima à son système de mort la plus effroyable accélération. Le premier usage que fit Robespierre de sa suprématie conquise par le meurtre de ses anciens amis fut d’arracher à la convention la loi du 22 prairial, qui, supprimant les dernières garanties accordées jusqu’alors devant le tribunal révolutionnaire, réduisait la procédure à une simple constatation d’identité par devers Hermann et Fouquier.

En redoublant ainsi l’excitation à mesure que s’éloignait le péril, le comité de salut public, et Robespierre en particulier, étaient parfaitement dans leur rôle. Le vrai but qu’ils poursuivaient était en effet la dictature et l’asservissement de la convention nationales double résultat qui ne pouvait être atteint qu’en maintenant la crise révolutionnaire à son paroxysme le plus élevé, quels que fussent les circonstances politiques et les succès des armées républicaines. Dans les jours qui précédèrent le 9 thermidor, Robespierre, paraissant à peine au comité et ne se montrant plus à la convention, laissait chaque soir échapper à la tribune des jacobins en mots obscurs l’amer désappointement que lui faisaient éprouver les victoires des armées républicaines en Belgique et sur le Rhin : c’est qu’en effet le dictateur aveuglé s’inquiétait moins de la France que de lui-même, et qu’il s’agissait au fond de gouverner la nation plutôt que de la sauver. L’asservissement de la convention par un comité et bientôt après la tyrannie d’un seul homme pesant sur ce comité, tel fut le dernier mot du gouvernement de la terreur, tel fut le but vers lequel avait marché la révolution à travers des flots de sang et des ruines amoncelées. Le travail de tout un siècle venait aboutir à l’apothéose d’un dictateur-pontife, qui résumait sa doctrine dans la mascarade païenne du 20 prairial, suivie à deux jours de distance de la loi la plus meurtrière qu’un gouvernement ait jamais imposée à l’épouvante d’une assemblée. Toutes les apologies de la politique montagnarde, qu’elles émanent de MM. Buchez, Louis Blanc,