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s’occupait même de sa dernière demeure que pour éloigner le moment de l’habiter. Selon un horoscope, elle devait cesser de vivre le jour où elle cesserait de bâtir. Elle ne mourut, en effet, qu’après une gelée qui avait forcé les maçons de déposer la truelle. Je crois à l’horoscope ; il était d’un prophète qui connaissait bien la dame et qui n’ignorait pas le cœur humain. Une femme de ce caractère devait mourir le jour où elle serait forcée de s’arrêter.

La galerie de Hardwicke-Hall, longue de cent quatre-vingts pieds anglais, est, non pas éclairée, mais rendue transparente par les fenêtres, qui font ressembler la paroi extérieure à un immense châssis. Les bons tableaux n’y sont pas communs, mais les portraits y abondent et sont tous du temps. Aux deux bouts de la galerie s’ouvrent deux portes qui se font face, et par lesquelles, quand l’horloge sonne minuit, entrent, en habits de pompe, Élisabeth et sa victime. Toutes deux s’avancent jusqu’au milieu de la salle, se font la révérence, et vont s’asseoir côte à côte sur deux trônes adossés au mur que surmonte un dais en velours rouge. La légende ne dit pas si les deux rivales s’y adressent la parole ; hélas ! elle fait bien. Une explication brouillerait de nouveau celles que la mort a réconciliées dans son éternel silence. Un dialogue des morts entre les deux rivales est impossible. C’est qu’au fond, et malgré les grands intérêts qui s’y mêlèrent, la querelle n’était guère plus digne que celle qui met aux prises deux femmes du commun ; seulement l’une a l’auréole de la beauté et du malheur, l’autre le stigmate de l’oppresseur et du bourreau.


IV. – NEWSTEAD-ABBEY. – LORD BYRON.

Un nom contemporain, un des plus grands noms de la poésie, celui de lord Byron, consacre les précieux restes de l’abbaye de Newstead. C’est là que lord Byron a passé une partie de sa jeunesse ; c’est là que s’est éveillé son génie poétique. Jusqu’à lui, la ruine avait été à peu près la seule gloire de sa famille ; désormais c’est le nom du dernier de cette famille qui fait la gloire de la ruine.

Newstead-Abbey est un antique monastère converti en manoir. L’édifice religieux fut élevé par Henri II en 1170, et dédié à la Vierge Marie. Les guerres, le temps, ont détruit l’église, sauf la façade, qui se lie à l’aile gauche du manoir ; mais le cloître, la cour intérieure, la fontaine au milieu, dont l’eau n’a pas cessé de couler et que décorent des bas-reliefs grotesques, le réfectoire, subsistent, engagés et mêlés dans une construction un peu militaire, comme étaient les manoirs fortifiés du moyen-âge. Jusqu’à la célébrité que l’abbaye de Newstead a due aux souvenirs de lord Byron, on venait visiter le manoir pour