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à peu près neutres. La révolution qu’on faisait en leur nom une fois accomplie, elles avaient encore mis plusieurs mois de sommeil au service de la république. C’est à ce point que le « carrillon de la liberté » n’avait réuni à Port-au-Prince que deux cents électeurs sur six mille dans quelques localités importantes, il ne s’en présenta même pas un seul ; mais quand le nouveau régime fut consolidé, que tant de fracas n’eut abouti qu’à donner quelques milliers d’épaulettes à la jeunesse mulâtre du parti Hérard, « peuple noir » comprit qu’on l’avait décidément oublié, et regarda aux quatre points cardinaux si personne ne se présenterait pour lui donner « révolution à li. » Les candidats s’offrirent aussitôt en foule. Les généraux noirs Salomon et Dalzon s’insurgent presque simultanément, l’un dans le sud, l’autre à Port-au-Prince. Quelque temps après, le général noir Pierrot, battu par les Dominicains, va se consoler dans le nord en s’y proclamant indépendant, et l’ouest, à son tour, proclame le général noir Guerrier ; mais Guerrier, comme Pierrot, comme Dalzon, comme Salomon, ce n’était que le noir, et voici venir dans le sud le nègre, le nègre humanitaire et beau diseur de l’école de Jean-François. Il se nommait Accaau, « général en chef des réclamations de ses concitoyens, » avait de gigantesques éperons à ses talons nus, et, suivi d’une troupe de bandits, armés la plupart de pieux aigus faute de fusils, parcourait, dans l’intérêt de « l’innocence malheureuse » et de « l’éventualité de l’éducation nationale, » les villes dépeuplées à son approche par la terreur. Accaau portait spécialement la parole au « nom de la population des campagnes, réveillée du sommeil où elle était plongée. » - Que dit le cultivateur, s’écriait-il dans une de ses interminables proclamations où l’impitoyable obstination du paysan doublé du nègre refusait de faire grace au parti Hérard d’une seule de ses promesses, « que dit le cultivateur auquel il a été promis par la révolution la diminution du prix des marchandises exotiques et l’augmentation de la valeur de ses denrées ? — Il dit qu’il a été trompé. » Aussi les mulâtres des Cayes, principal foyer de la dernière révolution, reçurent-ils la première visite de ce formidable porteur de contraintes. L’opposition bourgeoise ; qui avait si long-temps désiré le réveil politique du peuple n’avait plus, Dieu merci, à se plaindre. Elle en fut cependant quitte cette fois pour la peur. Un commun intérêt de conservation groupa la majorité des deux couleurs autour de la présidence de Guerrier, qui, grace à sa qualité de noir, put refouler sans peine l’élément ultra-africain ; mais Guerrier mourut peu de jours après, volontaire victime des devoirs que lui imposait sa nouvelle position. Jusque-là ivre mort dès huit heures du matin, il avait eu, à quatre vingt-quatre ans, la force d’ame de renoncer au tafia, qui, en effet, le transformait parfois en bête fauve ; c’est ce qui le tua.

Pierrot, beau-frère de Christophe, ami d’Accaau, et qui était, après