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passionner. Joignez à l’irritation causée par cette résistance intérieure la colère patriotique de traités récens imposés au pays. Supposez qu’un historien à la fibre française, sous l’impression ou plutôt sous l’impulsion même du sentiment national qui saigne, raconte à ses contemporains la lutte révolutionnaire : ce sentiment dominera, effacera tout à ses yeux ; 92 et 93 lui apparaîtront surtout comme la révolution armée, sauvant la France à tout prix. Il fera un peu pour ce passé, dont il n’est pas d’ailleurs responsable, comme Carnot contresignant sans les lire les listes de proscription qu’on lui présente. Si l’ennemi nous menaçait en 1792 et en 1793, en 1814 et en 1815 il avait planté ses tentes au cœur de Paris, et, à tort ou à raison, le pays en rendait responsables ceux qui étaient rentrés à sa suite. Ne l’oublions pas, si nous voulons nous rendre compte de la manière dont l’histoire fut écrite alors.

On a reproché à l’Histoire de la Révolution française de M. Thiers d’être une justification systématique des moyens violens, une apothéose raisonnée de la force et du succès. C’est juger, selon nous, comme on jugerait un traité de philosophie, cet éminent travail d’histoire politique. Explication rétrospective atténuante, plaidoyer aussi substantiel qu’animé de politique contemporaine, et non généralisation de philosophe moraliste, pur récit enthousiaste d’une grande bataille, que l’auteur jugeait livrée et gagnée une fois pour toutes, telle m’apparaît cette histoire, écrite, je dois l’ajouter encore pour être juste, dans un temps de sécurité relative, où, derrière la lutte politique pendante, on ne soupçonnait guère une nouvelle question sociale grosse de luttes futures. Il faut bien toutefois le reconnaître : malgré la tolérance pour les opinions et la pitié pour les victimes, il transpirait à travers le cours de ce récit, rapide et coulant jusqu’à paraître complice, deux impressions très vives, très contagieuses : les héros de la révolution en paraissaient grandis au point de donner à bien des gens la tentation de leur ressembler ; l’insurrection, comme moyen, en sortait moins décriée. Enfin, la nécessité révolutionnaire admise, même pour une fois, comment s’arrêter ? L’historien et le politique jugeaient que le temps de cette nécessité terrible était fini ; d’autres survinrent, et prétendirent qu’il commençait. Certes l’auteur avait et il a plus que jamais conquis le droit de s’en plaindre ; mais j’ignore, je l’avoue, ce que la logique peut répondre.

Que l’Histoire de la Révolution par M. Thiers, ainsi que l’imposante esquisse de M. Mignet, que ces deux écrits, commentés par tant d’autres écrivains et par leurs auteurs eux-mêmes, aient eu une part réelle dans les événemens de 1830, c’est un fait, je crois, hors de conteste. Je ne me propose pas l’examen des questions, peut-être insolubles actuellement, qu’a fait naître la révolution de juillet ; je constate seulement