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clairement la société française en deux camps : l’un où tous sont purs, désintéressés, dévoués, martyrs, c’est le camp des montagnards ; l’autre où tous, sans exception, sont corrompus, vendus, égoïstes, bourreaux, c’est le camp des modérés. C’est un spectacle bien touchant que de voir un néophyte de la montagne emprunter aux mêmes mémoires d’émigrés les mêmes imputations contre les hommes de 89 qu’a déjà recueillies M. de Cassagnac. Le nouvel auteur de l’Histoire de la Révolution française professe pour la terreur et pour ses héros un culte qui ne parait pas parfaitement raisonné ; style et idées, tout chez lui révèle un radical de l’espèce naïve. Ce n’est pas que l’auteur ne témoigne une certaine indignation, dont nous devons lui tenir compte, contre les massacres inutiles, contre les excès du régime, sa prolongation intempestive, les noyades de Nantes. Comme il faut de la mesure, il s’en tient à Marat. « Marat, écrit-il avec un sang-froid très méritoire, avait pour but, en se faisant violent et terrible, d’empêcher que l’on n’abattit la révolution par l’exagération de son principe, et d’arrêter l’effusion du sang qu’il n’était pas rigoureusement nécessaire de verser. » Oh ! la belle explication !

Les révolutionnaires n’ont, on le voit, rien oublié, ni rien appris. Rien ne ressemble plus à une histoire montagnarde écrite en 1794 qu’une histoire montagnarde écrite en 1850. Ce parti qui se donne pour le parti du progrès est d’une niaise et désespérante immobilité. Quand j’ai ouvert l’Histoire de la Révolution de M. Villiaumé, il s’est trouvé que je la savais par cœur. Faites le plan en esprit, et vraiment cela ne sera pas difficile, de l’histoire de la révolution au point de vue montagnard. Toutes les fois qu’un des hommes qui ont servi la révolution à ses débuts s’arrêtera devant ses excès, cet homme sera inévitablement un traître payé par la cour Pitt et Cobourg seront pour quelque chose dans sa corruption. L’historien, d’une sensibilité très délicate pour les femmes de la halle qui ont fait le 5 et 6 octobre et tout confit en douceurs pour les tricoteuses des tribunes, méprisera profondément Marie-Antoinette, et sera sans pitié pour ses royales douleurs. Les paroles admiratives et tendres afflueront sur ses lèvres pour exalter les vertus de ce bon Marat ; c’est lui qui sera un grand martyr, et de plus un beau modèle de conciliation ! Quant à Louis XVI, pas de choses honteuses ou même horribles dont on ne le trouve coupable : en effet, c’est un roi ! De par l’affaire du Champ-de-Mars, le général Lafayette, qui a fait tirer sur le peuple, sera, cela va sans dire, un assassin, et Bailly, son complice, mourra accablé de remords. La conclusion de tout cela sera nécessairement que la lutte dure encore, dure toujours, et que le parti montagnard saura bien la terminer à son avantage et à tout prix. Telle sera infailliblement l’histoire montagnarde à priori. Nous venons de résumer le livre de M. Villiaumé.