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travail étant considéré comme un droit royal et domanial, la propriété des maîtrises resta constamment sous le coup de l’arbitraire le plus tyrannique. En 1623, un édit royal déclara offices domaniaux et sujets à revente les plus humbles métiers. En vertu de cet édit, il fut arrêté que tous les possesseurs de ces offices se rendraient à Paris pour payer la somme à laquelle ils seraient taxés, et que, faute par eux de se soumettre à cette injonction, leurs métiers seraient revendus. Cet édit atteignit à Rouen seulement plus de quatre mille individus, sur lesquels un grand nombre gagnaient à peine deux ou trois sous dans une journée entière, et occasionna dans cette ville, comme dans la plupart des grands centres industriels, une agitation très vive.

Au second degré de la hiérarchie, nous trouvons l’apprentissage. L’apprenti comme le maître devait être enfant légitime et professer la religion catholique ; il devait de plus, en certains lieux, donner vraye cognoissance de sa personne, prouver qu’il n’était ni rogneux ni raffleur, et qu’il n’avait jamais été repris de justice. Le nombre des apprentis étant limité pour chaque métier, et chaque chef d’atelier ne pouvant ordinairement en occuper qu’un seul à la fois, ceux-ci n’étaient point libres de choisir leurs maîtres, et ils étaient souvent forcés d’attendre long-temps avant de trouver à se placer. La durée de l’apprentissage, qui variait depuis un an jusqu’à dix, était la même pour l’ouvrier actif et d’une conception facile et l’ouvrier paresseux, maladroit et dépourvu d’intelligence, pour les métiers les plus simples et les métiers les plus difficiles, car elle se réglait avant tout sur l’intérêt des maîtres, qui la prolongeaient bien au-delà du temps nécessaire, afin de garder près d’eux des ouvriers qu’ils ne payaient pas ou qu’ils ne payaient que faiblement[1]. Outre les droits qu’il acquittait à son entrée dans la corporation, l’apprenti était quelquefois astreint à fournir un cautionnement. Il devait à son chef, et cela sans aucun salaire, tout son temps, tout le profit de sen travail et même, en cas de maladie, une indemnité pécuniaire[2]. S’il le quittait sans motif légitime, il perdait tout le temps qu’il avait passé près de lui ; s’il se rendait coupable d’une faute grave, il était chassé du métier et par cela même privé de la faculté de travailler. La dépendance des apprentis était quelquefois si grande, qu’à Paris, en 1384, dans certaines professions, en cas de décès du maître, la veuve ou les héritiers pouvaient louer l’apprenti, l’engager et même le vendre à d’autres. Ces conditions étaient rigoureuses sans doute, mais il est juste de reconnaître qu’elles avaient leur bon côté, car l’apprentissage n’était pas seulement une affaire d’habileté pratique, mais aussi une épreuve morale, un essai de la vocation comme le noviciat monastique. Le jeune homme qui entrait dans le métier sous la foi du serment jurait de sauvegarder l’honneur et les intérêts de la famille de son maître. Surveillé par les gardes, il était tenu, pour avoir plus tard le droit

  1. Dans le métier de bouquetier, où toute l’habileté consiste à lier ensemble avec un fil une certaine quantité de fleurs, ce qui peut s’apprendre facilement en quelques minutes, il fallait faire quatre années d’apprentissage et deux années de compagnonnage. Dans le métier de boulanger à Paris, il fallait servir cinq ans comme apprenti, quatre ans comme garçon avant d’être admis à faire le chef-d’œuvre, qui consistait en un pain mollet. (Guyot, Répertoire universel de Jurisprudence, etc., 1784-85, in-4o, au mot Corps d’Arts et Métiers.)
  2. Recueil des Ordonn., t. VII, p. 116. Rouen, 1385.