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habitans d’Harfleur et de Montivilliers, à qui le roi d’Angleterre ne laissa pour ressources, en les chassant de leur ville, que cinq sous et quelques vêtemens par individu. Les impôts royaux, que la noblesse et le clergé rejetaient principalement sur les travailleurs de l’industrie et de l’agriculture, n’étaient pas moins redoutables que la guerre. Ces impôts, sous le règne de Charles VIII, étaient devenus tellement exorbitans, qu’on voit dans le Cahier des états-généraux de 1483, qu’à cette époque un grand nombre d’habitans s’étaient enfuis en Angleterre, en Bretagne et ailleurs. « Les autres, dit le même document, sont morts de faim à grand et innumérable nombre, et autres par désespoir ont tué femmes et enfants et eulx-mêmes, voyant qu’ils n’avoient de quoi vivre, et plusieurs hommes, femmes et enfants, par faulte de bestes, sont contraincts de labourer à la charrue au col. »

Outre les impôts royaux, les charges des corvées, les sujétions féodales, qui ne s’effaçaient jamais d’une manière complète, les ouvriers et les marchands, malgré l’affranchissement, devaient encore, dans le plus grand nombre des villes et bourgs qui avaient droit de commune, payer l’impôt de la liberté : cet impôt était quelquefois très lourd. M. Leber a calculé que dans la commune d’Arc-en-Barrois il s’élevait, pour chaque chef de famille, à une somme représentant 500 francs de notre monnaie, et à ce propos M. Leber dit avec raison : « L’indépendance conquise était si chèrement payée, que trop souvent elle devenait plus lourde que profitable aux affranchis, et l’on a plus d’un exemple de communes, même de villes, que l’énormité des charges de leur émancipation força de renoncer aux avantages réels qu’elles en tiraient. » La fiscalité était si féconde en inventions désastreuses, qu’on imposa à différentes reprises, entre autres par une ordonnance du 26 mai 1356, le salaire des ouvriers qui ne possédaient rien. « Tous ceux, est-il dit dans cette ordonnance, qui n’ont pas cinq livres de biens et qui tirent du travail de leur journée un salaire suffisant payeront une aide de cinq sols. Tous serviteurs et mercenaires qui gagnent, outre leur dépense, dix livres par an payeront dix sols. »

La royauté, sous l’ancien régime, se montra constamment fidèle à ce système d’exactions, ce qui fit dire à Guy-Patin qu’on finirait par établir un impôt sur les gueux pour leur laisser le droit de se chauffer au soleil. Qu’on ajoute à tant de causes de souffrances les vices contre lesquels, malgré leur sévérité, les lois civiles et religieuses étaient trop souvent impuissantes, l’ivrognerie et surtout la passion du jeu poussée jusqu’aux dernières fureurs, l’indifférence toujours persistante des grands pouvoirs de l’état pour l’amélioration du sort des classes laborieuses, et l’on comprendra combien cette condition était misérable et précaire. Aussi trouve-t-on dans l’histoire d’un grand nombre de villes au moyen-âge des traces très fréquentes d’émeutes et de coalitions. Ces soulèvemens populaires où la barbarie des mœurs se montre dans son jour le plus triste, et qui procèdent ordinairement par le meurtre, le pillage et l’incendie, ont pour cause l’élévation des impôts et plus souvent encore pour but la diminution des heures de travail et l’augmentation des salaires. Ce qui se passe à Provins en 1324, à Châlons-sur-Marne en 1369, à Troyes en 1372, à Sens en 1383, à La Charité-sur-Loire en 1402, à Bourges en 1466, à Beauvais en 1554, montre combien étaient rudes dans ces âges reculés les labeurs, les privations