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et à l’objet fabriqué, frappant dans l’un la mauvaise foi, dans l’autre la mauvaise qualité. On appliquait tour à tour aux personnes, suivant les temps, les punitions corporelles, le bannissement, la prison, la perte du métier, l’amende. Les punitions corporelles les plus fréquentes étaient la mutilation du poing et la marque au visage avec le fer rouge. Cette pénalité barbare, consacrée par la législation de Louis IX, resta en vigueur jusqu’à la fin du XVe siècle, et fut appliquée principalement aux fraudes matérielles commises dans la fabrication ou à la contrefaçon des marques et poinçons qui servaient à estampiller, dans les villes, les produits de l’industrie locale. On ne se contentait pas de punir la fraude dans la personne de celui qui l’avait commise : la punition s’étendait quelquefois à tous les habitans de la ville où le coupable était né, où il exerçait son industrie ; ainsi, en 1410, un drapier de Saint-Omer, qui avait porté aux foires de Champagne des draps fabriqués dans cette ville et vendu ces draps pour un même prix, quoiqu’ils fussent d’une longueur différente, fut banni de ces foires sous peine de mort, et défense fut faite à tous marchands de Saint-Omer de s’y présenter à l’avenir.

La prison, la perte du métier, le bannissement, étaient appliqués surtout dans le cas d’infraction aux lois de la morale religieuse, lorsqu’il y avait, par exemple, calomnie contre un confrère, séduction, adultère, blasphème. Les amendes, infligées dans l’origine aux contraventions qui ne présentaient point un caractère frauduleux, remplacèrent peu à peu la prison et le bannissement. Peu considérables d’abord et uniquement perçues au profit des corporations et des communes, elles finirent par s’élever à un taux exorbitant, furent réclamées en partie par la royauté, et, quand la centralisation administrative fut constituée, elles offrirent une source abondante de revenus au fisc, qui les exploita comme un impôt régulier. Quant à l’exclusion du métier, elle fut maintenue jusqu’aux derniers temps.

La pénalité, avons-nous dit, atteignait aussi les marchandises. Tantôt on les confisquait ou plutôt on les séquestrait, car, une fois confisquées, ces marchandises ne rentraient plus dans le commerce ; tantôt on les détruisait, quelquefois même on les exposait au pilori. Les cierges et les bougies qui n’avaient point leur poids, les pots de cuivre, les plats et les vases d’étain défectueux, les ficelles, les cordages, les draps de mauvaise qualité, les habits mal faits, les bois mal équarris étaient écrasés, lacérés, brûlés. L’exécution des marchandises condamnées avait lieu, tantôt sur les places publiques, tantôt devant l’atelier ou la boutique du délinquant. Cet atelier, cette boutique, étaient même parfois punis comme complices de la fraude : on les démolissait ou on les murait. Il fallut bien du temps pour qu’on s’aperçût de l’absurdité de ce châtiment qui anéantissait des valeurs importantes et tournait en dernier résultat au détriment des consommateurs. Au XVIe siècle, on reconnut enfin que les marchandises diffamées (c’est le mot du temps) pouvaient encore être d’un utile usage ; on se contenta donc, au lieu de les brûler, de les soumettre à un rabais considérable en indiquant, par des marques particulières, ce qu’elles avaient de défectueux, et, sauf quelques cas exceptionnels, la destruction ne fut appliquée dès-lors qu’aux denrées alimentaires, ou à celles qui étaient prohibées à cause de leur provenance.

Chaque profession, ayant ses lois, sa pénalité distincte, devait nécessairement