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France ou maître de la garde-robe était maître des fripiers du royaume ; les cuisiniers, les marchands de vin avaient leur représentant honorifique dans le roi des ribauds, prince des viniers, dans le maître-queux, chef des cuisines royales. Le premier barbier, valet de chambre du roi, était maître de la barberie du royaume, et, à ce titre, il vendait des lettres de maîtrise et envoyait chaque année, moyennant une certaine somme, à tous les barbiers des provinces un almanach contenant des recettes pour pourvoir à la santé du corps humain. Les bouchers de Paris étaient placés sous l’autorité d’un maître ; les merciers de la Touraine, du Maine et de l’Anjou sous celle d’un roi. Cette royauté était un véritable fief sine glebâ, emportant des redevances utiles ou honorifiques : le roi des merciers ne tenait pas seulement dans sa mouvance les gens de son état, mais la noblesse elle-même, et tout feudataire qui concédait le droit de foire ou de marché lui devait un boeuf, une vache ou une fournée de pain.

Dans l’origine, la plupart des offices industriels, nous l’avons indiqué déjà, étaient électifs. Les jurés, les gardes, les prud’hommes étaient nommés dans les assemblées générales des gens du métier, assemblées auxquelles chacun d’eux était tenu d’assister à peine d’amende ou même d’exclusion, quand l’absence n’était point dûment motivée, car la même loi qui rendait pour les élus les fonctions publiques obligatoires imposait aussi aux électeurs l’obligation du vote, en vertu de la maxime consacrée par le droit canonique dès les premiers jours de l’église : Celui qui doit être obéi par tous doit être élu par tous ; — qui ab omnibus debet obediri ab omnibus debet eligi. Quelque absolue qu’ait été cette maxime, le système électif du moyen-âge, dans l’industrie comme dans l’église, n’en resta pas moins toujours subordonné à un contrôle supérieur, et, de même qu’au XIIIe siècle le droit nouveau des décrétales écarta le peuple des élections canoniques, de même, à partir du règne de Louis XI, le droit nouveau de la royauté tendit sans cesse à enlever aux gens de métiers le libre choix de leurs administrateurs et de leurs officiers de police. En repoussant successivement les apprentis, les valets, les compagnons et même les femmes, qui, en plusieurs corporations, avaient droit de vote, on passa peu à peu du suffrage universel au suffrage restreint, et du suffrage restreint aux créations en titre d’office, c’est-à-dire à la nomination royale moyennant finance. Des profits assez notables, droits de visite, de sceau, part dans les amendes et les confiscations, étant attachés aux charges de police industrielle, ces charges, qui emportaient de plus certains privilèges honorifiques, furent très recherchées, et devinrent une source abondante de revenus pour le fisc, en même temps qu’elles étaient une cause de ruine pour les corporations. En effet, elles furent accaparées par des traitans qui les achetaient souvent en gros pour toute une province, et qui, après les avoir payées fort cher, en augmentaient encore le prix en les revendant en détail. Les droits de visite, de sceau, d’examen, en furent accrus dans une proportion notable. Les villes, pour se débarrasser d’individus qui leur étaient étrangers et se soustraire à des droits onéreux et permanens, s’imposaient extraordinairement pour acheter et réunir à leurs échevinages les offices de création royale. Les corporations, à leur tour, étaient taxées pour s’acquitter envers les villes, et la plupart d’entre elles contractèrent à ce sujet des dettes qu’elles se, trouvèrent hors d’état de payer. Ce trafic des offices industriels fut poussé sous le règne de Louis XIV jusqu’aux dernières limites, et le gouvernement y viola effrontément