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nouveau-né au baptistère, la jeune épouse à l’autel ; ils suivaient les morts à leur dernière demeure, fournissaient les torches, les draps funéraires, et, comme la famille, cessaient tout travail le jour où celui qu’ils venaient de perdre était conduit au cimetière. Il y avait dans ce deuil collectif, dans cette fraternité que la mort elle-même ne détruisait pas, quelque chose de touchant et d’élevé ; mais, par malheur, les usages les plus bizarres se mêlaient souvent comme une cynique protestation aux cérémonies les plus graves. Ainsi, à Paris, quand les crieurs de vin suivaient le convoi d’un confrère, d’eux d’entre eux marchaient près du cercueil, en portant l’un un pot, l’autre un gobelet, et ils présentaient ce gobelet bien rempli à tous les passans qui demandaient à boire.

Comme institution charitable, la confrérie était un véritable bureau de bienfaisance. Afin de purifier le gain, que l’église a toujours regardé comme blâmable quand les malheureux n’en ont pas leur part, la loi religieuse prélevait sur l’industrie une sorte de taxe des pauvres qui, dans la caisse de chaque confrérie, se trouvait amortie pour l’aumône. Cette caisse, souvent désignée sous le nom de la charité du métier, était alimentée par des retenues faites sur le salaire, les deniers à Dieu payés pour les transactions, et par les amendes. La taxe était permanente, et, lorsqu’elle ne pouvait suffire aux nécessités de l’aumône, les corporations étaient autorisées à imposer sur chacun des confrères, mais toujours du consentement de la majorité, une prestation extraordinaire recouvrable, comme les impôts royaux, par voie de contrainte.

Les produits de la taxe permanente et les prestations étaient appliqués, suivant que les confréries étaient plus ou moins riches et chargées d’un nombre plus ou moins grand d’ouvriers nécessiteux, tantôt à tous les pauvres de la même ville, tantôt aux pauvres de la corporation seulement. Il y avait ainsi ce qu’on appelait l’aumône générale et l’aumône du métier. L’aumône du métier était destinée à marier de pauvres filles orphelines, à secourir les vieillards, les infirmes, ceux qui étaient appeticiés de leur état, c’est-à-dire déchus[1], car, en vertu des lois de l’association, quand un confrère était tombé dans la misère sans que cette misère fût le résultat des désordres de sa conduite, les associés devaient lui donner chaque semaine des secours soit en nature, soit en argent, ou lui avancer une certaine somme qu’il n’était tenu de leur rendre que dans le cas où il pourrait revenir sus en ses affaires. — L’aumône générale, telle qu’elle était organisée à Paris et dans les grandes villes, c’est-à-dire là où se trouvaient des corporations puissantes, n’était pas seulement une affaire de bienfaisance, mais une sorte d’hommage solennel rendu aux malheureux par ceux que l’industrie avait enrichis, car il est à remarquer que la misère était quelquefois traitée comme une sorte de fief envers lequel les grands pouvoirs de l’état, ainsi que les magistratures urbaines, étaient astreints à des redevances utiles et honorifiques. À Mantes, le jour de la Conception, les plus notables bourgeois servaient à table les pauvres infirmes et vieux. À Nîmes, le jour de l’Ascension, les consuls, des torches à la main, se rendaient à la cathédrale, et là, les bannières de la ville déployées, ils distribuaient aux malheureux de l’argent et quinze douzaines de pains. À Paris, le jour du vendredi-saint,

  1. Voir, entre autres, M. P. Varin, Archives législatives de la ville de Reims.