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toujours théologiques ; eux, les fils et les représentans de ces hardis hérétiques écrasés par Simon de Montfort, ils ne chantent plus que la Vierge ; l’inquisition les écoute. « Timorés et inoffensifs, d’audacieux et de frondeurs que les premiers avaient été, ils courbent respectueusement leur talent, quelques-uns leur génie peut-être, sous la double autorité spirituelle et temporelle. J’emprunte cette observation ingénieuse et vraie à un savant toulousain, M. Noulet, que l’académie des Jeux Floraux a chargé de diriger cette seconde publication, et qui s’est acquitté de cette tâché avec un rare bonheur.

Les sept poètes du collége des Jeux Floraux distribuaient tous les ans, comme prix de poésie, trois fleurs d’or : une violette, une églantine et un souci ; de là la division du recueil publié par M. Noulet en trois parties intitulées : Joies de la Violette, Joies de l’Églantine, Joies du Souci, selon que les pièces citées avaient obtenir l’une de ces trois fleurs. Le mot joies est roman, joyas ; c’est encore un de ces mots un peu enfantins qui aidaient aux habitans de la France méridionale à se dissimuler leur abattement par le souvenir de leur antique gloire.

Les nouveaux poètes du midi, dit encore M. Noulet, n’eurent de commun avec les troubadours passés que le nom qu’ils leur empruntèrent ; ils ne firent pas comme eux, profession de leur art, et, au lieu d’y consacrer leur vie entière, ces derniers furent tout simplement des hommes lettrés, prêtres, magistrats, clercs, bourgeois, marchands, cultivant la muse romane par pur délassement. » En effet, on trouve parmi les auteurs des pièces couronnées dans cette période des gens de toutes les professions comme de tous les pays du midi ; l’un est un prêtre de l’Albigeois, l’autre un juge de Villelongue près de Limoux ; -celui--ci est un marchand de Toulouse, celui-là un étudiant de Perpignan, un autre un maître médecin de Montpellier.

La pièce qui ouvre le recueil est un sirvente d’Arnaud Vidal de Castelnaudary, qui gagna la violette en 1324 ; cette pièce, qui n’a de l’ancien sirvente que le nom, est en l’honneur de la Vierge ; elle est écrite en rimes que Molinier appelle dérivatives, la traduction des quatre premiers vers suffira pour en donner une idée :

Mère de Dieu, Vierge pure,
Vers vous monte mon cœur pur,
Votre espérance m’assure,
Par vous seule je suis sûr, etc.


Et ainsi de suite pendant plus de soixante vers, en jouant toujours sur les rimes qui dérivent les unes des autres pure, pur ; assure, sûr ; obscure, obscur, endure, dur, etc. Avec une pareille affectation dans la forme, il n’est pas étonnant que le rond des idées soit misérable ; tout est sacrifié au jeu des mots.

Deux choses seulement sont à remarquer dans ce prétendu sirvente ; la première, c’est le croisement des rimes masculines et féminines au moyen du même mot qui forme successivement les deux rimes, suivant qu’il a une désinence masculine ou féminine, d’où, il suit que l’harmonie qui résulte de ce croisement était connue et appréciée du temps de Molinier, quoiqu’il n’en dise rien ; la seconde, c’est que la langue d’Arnaud Vidal est encore la langue des troubadours dans la foule sa pureté, ce qui montre que la langue poétique s’était conservée sans s’altérer dans une pieuse tradition, tandis que l’idiome vulgaire devait subir des modifications inévitables.