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difficultés, sur les bras, qu’on s’était intérieurement octroyé l’oubli de celle-là, et qu’en la voyant tout à coup reparaître, avant qu’on fût débarrassé des autres, on n’imaginait pas comment on en pourrait ainsi porter une de plus. C’était assurément une bonne fortune que cette occasion de rendre un hommage mérité à d’illustres bannis, si même on ne leur rendait pas le sol natal ; mais ce ne sont pas toutes les bonnes fortunes qui gagnent à venir sans être attendues : encore faut-il qu’on soit prêt à les recevoir. M. Creton était prêt en octobre 1849, il l’était encore en novembre 1850, et, quoique tous les courages ne fussent pas au niveau du sien, par une sorte de surprise sympathique, il a obtenu de l’assemblée qu’elle rétablit sa proposition à l’ordre du jour pour une très prochaine séance.

Cette séance devait être aujourd’hui, et d’avance elle prêtait à plus d’une inquiétude. On avait le droit de se demander quel parti l’on voulait tirer de la campagne à laquelle on allait se risquer quand même. Était-ce un débat ? était-ce un résultat ? S’il ne s’agissait que de parler sur la cause, la cause assurément était belle, mais belle à trop de points de vue divers pour ne pas susciter entre tous ceux qu’elle touchait dans l’ame une émulation qui risquait trop de se terminer en conflit. Avait-on au contraire l’espoir de réaliser des vœux dont la générosité ouvrait une si libre carrière à toutes les conjectures, ces conjectures se dressaient tout de suite devant les esprits comme les fantômes de l’avenir, et le présent a déjà trop des siens. Donner une satisfaction immédiate aux justes regrets qui suivent dans leur exil des princes dignes d’un meilleur sort, c’était complaire à tous les cœurs bien placés ; mais était-ce apaiser et réconcilier toutes les opinions ? Après cela, nous savons bien qu’il ne faut pas se flatter outre mesure de réconcilier les opinions divergentes ; il y a des dissidences dont on doit savoir prendre à temps son parti, pour n’avoir à leur égard que les procédés strictement nécessaires. Cependant il est aussi des considérations dont le vrai patriotisme oblige à tenir plus de compte ; il est des raisons de paix publique et de sécurité commune contre lesquelles ne sauraient prévaloir dans des esprits éclairés les inspirations les plus pures de dévouement personnel et de loyale fidélité. Nous nous félicitions dernièrement à la seule perspective de cette trêve de Dieu que l’on peut se croire dorénavant en mesure de garder jusqu’à l’année 1852. Nous disions que la subite amélioration de l’état de choses venait justement du concert avec lequel on s’accordait de toutes parts à suspendre jusque-là toutes les pensées de solution. N’est-ce pas en effet de la concurrence, de la multiplicité des solutions aux prises les unes avec les autres que naît ce trouble continuel des intérêts et des idées qui empêche de distinguer entre toutes la solution véritable ? Profiter de l’armistice à peine, conclu pour ramener sur la scène en plus vive lumière que jamais l’une de ces solutions, n’était-ce pas les provoquer toutes à rentrer en ligne et refaire la crise dont on se réjouissait si fort d’être sorti ? Il y avait là pour des consciences honnêtes une anxiété sérieuse, et nous ne nous étonnons pas que cette anxiété, partagée par les hommes les plus éminens de l’assemblée législative, ait décidé la démarche de M. Casimir Périer. Nous comprenons qu’on ait eu besoin de réfléchir pour arrêter une décision sur un point où s’élevait un conflit si délicat entre les exigences politiques et les influences de sentiment ; nous regrettons pourtant qu’on n’ait point en là-dessus d’opinion arrêtée d’abord,