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et qu’on ait laissé fixer au 30 novembre 1850 la discussion de la proposition de M. Creton pour l’ajourner, la veille du débat, au 1er mars 1851. Il est toujours, fâcheux de reculer au bord du fossé ; mais on ne saurait du moins reculer en faisant meilleure figure que n’a fait M. Casimir Périer. Il a dit le vrai, et son nom donnait encore plus de poids à ses paroles, il a dit le fond de bien des cœurs quand il a solennellement déclaré que, si cette proposition, qu’il voulait écarter de la tribune, arrivait cependant au scrutin, il la voterait en passant par-dessus toutes les objections qu’il avait à ce qu’on la discutât. Une si franche confession n’a pas besoin d’être expliquée, parce qu’elle porte son motif avec elle.

On s’aperçoit peut-être que nous parlons ici comme si la proposition de M. Creton, qui concernait les deux branches de l’ancienne famille royale, n’en intéressait précisément qu’une. Nous n’avons, en effet, jamais pensé qu’elle put être fort accueillie par ceux qui prétendent que leur solution étant un principe, c’est à la nation d’aller au principe, et non point au principe de venir à la nation. Chacun son drapeau. Si les uns mettent la dignité de leur cause dans la perpétuité de l’exil, les autres n’en demeurent pas moins les maîtres d’ambitionner pour leur patriotisme la jouissance de la patrie ; le retour même sans couronne n’est dans leur destinée qu’une vicissitude de plus et non pas une déchéance. Mais le patriotisme lui-même peut commander cette suprême abnégation de ne point hâter un retour pourtant si modeste, et il y a, pour se résigner à ce dur sacrifice, de meilleurs motifs que la crainte d’offusquer les sectaires du droit immuable. Si la proposition de M. Creton a été abandonnée, ce n’est pas que le parti qui pouvait en sembler solidaire se soit abandonné lui-même par complaisance pour la droite ; c’est plutôt qu’il s’est réservé comme la droite elle-même, c’est qu’il a jugé plus opportun de ne rien engager à lui seul, et de suspendue son rôle, puisqu’aussi bien les événemens étaient suspendus. Encore une fois, on eût été mieux inspiré d’en juger, ainsi du premier coup, n’eût-on fait qu’éviter les commentaires.

Nous ne regrettons pas trop ce commentaire qui nous échappe à l’adresse d’un parti dont nous aimons à ménager les susceptibilités ; mais dont nous ne voulons pas encourager les illusions, parce qu’elles tourneraient contre nous en même temps que contre lui. Le parti légitimiste semble très disposé à croire que cette trêve dont nous parlions, inaugurée si loyalement par le message du président de la république, doit servir à l’avancement, exclusif de sa propre fortune, et il ne se fait pas faute d’annoncer qu’il emploiera tous ses loisirs dans ce but-là. Ce n’est pas ainsi que nous aurions voulu le voir répondre au noble appel du message, et il y a mieux à faire d’ici 1852 que de se livrer à l’obsession des doctrines, de petite église. La trêve introduite par le président de la république avait une intention plus généreuse, et le sens en était clair. Le président, obligé de reconnaître l’existence invétérée des partis, les ajournait tous à l’heure où le pays serait légalement appelé à prononcer entre eux, et les conviait à travailler en commun jusque-là dans l’intérêt du pays tout entier, sans acception de couleurs, sans intrigues, sans jalousies menaçantes. Chaque parti a le droit et le devoir de poser en principe que sa cause est la meilleure, qu’à lui seul il sera donné de construire un jour des arcs-de-triomphe, tandis que les autres ne construiront jamais que des masures.