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du monde réel, comme nous l’avons été nous-mêmes en Europe à la découverte de l’inconnu dans le monde des idées.

C’est donc sur les Canadiens que repose en grande partie le système d’échanges qui se pratique dans les territoires du nord et de l’ouest ; ils ont pour auxiliaires les métis, appelés communément bois-brûlés. Ceux-ci fraient avec les voyageurs blancs plus volontiers qu’avec les peaux rouges et cuivrées. Par les traits épatés de leurs visages, par leur tempérament lymphatique et leur caractère peu expansif, ils ressemblent à leurs mères les sauvagesses plus qu’à leurs pères les Canadiens. Cependant ils se rapprochent de la race blanche par un point essentiel ; tous sont baptisés et appartiennent ainsi, quoique de loin, à la grande famille chrétienne. Leur vie est errante encore, mais elle a cessé d’être nomade. Pareils aux pigeons de fuie, qui, tout en gardant la liberté de leurs ailes, nichent toujours dans le voisinage de l’homme, ils s’établissent autour des factoreries. Leurs femmes y jouent le rôle qui, dans les pays du sud, est réservé aux mulâtresses ; elles s’occupent à laver le linge, à coudre les capotes de chasse, les guêtres de cuir, à confectionner des mocassins, et comme, dans ces établissemens perdus au milieu des bois et des neiges, on ne compte que de rares échantillons du sexe féminin, elles s’y rendent vraiment utiles.

On se figure aisément que le sort des Européens confinés dans ces mornes régions n’a rien de bien enviable. Les factoreries ne sont guère que des forts entourés de palissades servant à les protéger contre les attaques des Indiens. Ces forts renferment la demeure des agens et les magasins de la compagnie de la baie d’Hudson ; situés à l’embouchure des fleuves ou au confluent des rivières, ils sont les arsenaux de terre et de mer où l’on recueille les armes, où s’abritent les flottilles de pirogues, où l’on répare les navires qui viennent hiverner dans ces parages. Les uns, placés tout-à-fait au nord, surgissent comme des prisons au milieu d’un sol pierreux, qui laisse poindre çà et là de maigres buissons ; durant six mois et plus, ils présentent l’aspect d’un navire enveloppé de tous côtés par les glaces. À peine y reçoit-on de loin en loin la visite de quelques Esquimaux affamés. D’autres, bâtis sons des latitudes plus tempérées, s’élèvent dans des clairières qu’entourent des forêts ; sur ces hauteurs croissent le pin rouge, le tuya du Canada, la sapinette, arbres résineux à feuilles persistantes ; au fond des vallées poussent l’érable à sucre, le frêne et le bouleau qui sert à faire les pirogues. Presque toutes ces stations, celles par exemple qui avoisinent la baie d’Hudson, peuvent passer pour de terribles lieux d’exil. Pendant une partie de l’année, l’intensité du froid ne permet guère aux agens européens de courir les bois. Quand la neige tombe à flocons, chassée en tourbillons impétueux, ils restent emprisonnés derrière les doubles portes et les doubles fenêtres de leurs, maisons, se pressant autour