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des poêles, respirant pendant des semaines entières un air épais et lourd. Celui qui veut to make a break in the winter (rompre la monotonie de l’hiver) doit prendre mille précautions avant de s’exposer à la température extérieure. D’abord il examine avec attention l’aspect de l’atmosphère ; si le moindre vent, le plus léger zéphyr souffle sur la terre glacée, qu’il ne mette pas même son nez à la fenêtre, sous peine de le voir geler instantanément. Si l’air est parfaitement calme, il pourra chasser le ptarmigan et la perdrix, mais avec quel costumes… Autour de son cou, il roule un comforter plus pesant et plus large que le pagne qui compose tout le vêtement d’un Indou ; sa tête disparaît sous un bonnet de peau de rat qui cache les oreilles et une partie du visage. Trois paires de chaussettes de laine, recouvertes d’une paire de mocassins, suffiront à peine à garantir ses pieds, et ses mains seront bientôt engourdies, malgré les mitaines fourrées qui les enveloppent. Par-dessus le pantalon de peau de daim, il adapte des guêtres de drap qui viennent se lier au-dessus du genou ; enfin il endosse une capote de cuir, doublée de flanelle, rembourrée de fourrures, qui lui donne l’aspect d’un ours gris. Que si par hasard la neige est molle, il faudra qu’il ajuste au-dessus de ses mocassins une paire de raquettes, longues de quatre à cinq pieds, larges de deux, qui l’obligeront à marcher les jambes écartées et à lever le genou jusqu’à la ceinture. Le besoin impérieux de prendre de l’exercice et de changer d’air peut seul déterminer une créature humaine à se mettre en route dans un pareil attirail. Quelques années de déportation aux bords de la baie d’Hudson seraient considérées comme un cruel supplice ; cependant des jeunes gens, partis des bureaux de la Cité de Londres, y passent volontiers le plus beau temps de leur vie, parce qu’ils y trouvent, comme compensation à ces souffrances, une liberté sans limites. On n’aime pas abdiquer son indépendance entre les mains d’autrui, et on se console d’être l’esclave des élémens[1] !

Le commerce des fourrures n’a plus aujourd’hui la même importance qu’autrefois ; nos costumes n’admettent guère ce genre d’ornemens, et l’industrie parisienne des chapeaux de soie a fait un tort considérable à la vente des peaux de castor. Cependant quels immenses bénéfices doit réaliser la compagnie de la baie d’Hudson, qui tient pour ainsi dire à ferme toute la chasse de ces régions si vastes ! Ce n’est que lentement et après cent quatre-vingt-quatre ans d’existence qu’elle est arrivée à régner seule sur les pays qu’elle occupe aujourd’hui. Fondée à Londres en 1669, par une charte de Charles II, sous le nom de company of adventurers trading in Hudson’s bay, elle eut des

  1. Un jeune employé de la compagnie de la baie d’Hudson, M. Ballantyne, a écrit, il y a quelques années, sur son séjour dans ces mornes régions, un ouvrage plein d’intérêt qui n’a été tiré qu’à un petit nombre d’exemplaires, for private circulation ; nous lui empruntons quelques détails sur le territoire qui avoisine la baie d’Hudson.