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monotones qui ont leur charme sans doute, surtout chez les peuples aux mœurs simples et primitives, mais à la condition d’être récompensées par des témoignages d’affection. Privée désormais de l’amour de son mari, Padmavati n’avait plus à jouer chez elle que le triste rôle d’esclave, tel que le lui imposaient les lois sévères de son pays. Chaque fois qu’elle le pouvait, elle s’élançait hors de sa demeure, traversait les bazars et courait dans la foule, cherchant partout celle qui l’avait réduite à cette humiliante condition de femme oubliée et méprisée. Si un groupe se formait sur les places publiques autour d’une troupe de sauteurs, de baladins, de tous ces vagabonds qui se recrutent en partie chez les Kouravars, elle se glissait au plus épais de la cohue, au risque de passer pour une femme effrontée, et son regard ardent plongeait à travers les rangs pressés des spectateurs. « Qui sait ? se disait-elle avec un battement de cœur inexprimable, elle est peut-être là ? Ces bateleurs ont toujours une vieille qui tient le sac aux gobelets. » Quand un coup d’œil jeté sur la troupe lui apprenait qu’elle s’était trompée, elle ne se rebutait pas. « Pendant que les plus vigoureux et les plus agiles éblouissent le public par leurs tours d’adresse, pensait-elle encore, les autres profitent du moment pour enlever au spectateur attentif ses anneaux et ses bracelets. » Et elle recommençait, toujours sans succès, à examiner de la tête aux pieds ceux qui l’approchaient, à épier les mouvemens de quiconque se mouvait dans son voisinage.

Le mois de tchaït (mars-avril), le premier de l’année solaire des Hindous, arriva bientôt. Depuis plus de huit mois, il n’était pas tombé une seule goutte d’eau ; sur le ciel embrasé ne paraissait pas encore le plus petit nuage qui pût être présager, même de loin, la saison des pluies ; les étangs complètement desséchés, ne pouvaient plus alimenter les canaux des rizières ; partout la terre se fendait, les, moissons commençaient à se flétrir, et les épidémies se répandaient parmi la population découragée. Pour conjurer tous ces fléaux, les brahmanes promenaient les idoles en grande pompe à travers les rues de Pondichéry. Dès que la nuit avait fait rentrer dans leurs maisons les Hindous travailleurs de toutes les castes et de toutes les professions, à l’heure om tous les quartiers fourmillent de peuple, où les vendeurs de bracelets, de fleurs, de gâteaux, offrent leurs marchandises aux gens plus aisés qui prennent le frais devant leurs portes, couchés sur des bancs de pierre, dans le simple appareil de baigneurs sortant de l’eau, la conque retentissait dans l’enceinte de la grande pagode. Bientôt s’ouvrait la porte principale surmontée de bas-reliefs mythologiques : ce sont des groupes repoussans ou gracieux, pleins de naturel, de mouvement et de naïveté, que des artistes anonymes, comme chez nous ceux du moyen-âge, exécutent avec un sentiment exquis de la légende et une connaissance parfaite de la tradition. À travers ce portail béant, on