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doutaient de quelque mésaventure et ne pouvaient continuer leur spectacle devant un parterre distrait par un accident inattendu, envoyèrent en reconnaissance le petit sauteur qui venait d’obtenir un si brillant succès. Il passa entre les jambes des spectateurs et arriva sur le lieu de la dispute le plus doucement qu’il put. Padmavati, lâchant la vieille, le saisit à deux bras, le pressa sur son cœur et fondit en larmes. Les gens qui l’entouraient se reculèrent instinctivement comme pour ne pas la gêner dans ce premier moment d’expansion.

— Ne craignez rien, dit Padmavati en levant les yeux d’un air de triomphe, je ne suis point ce que vous croyez : j’ai pris ce costume pour me garantir des outrages auxquels je m’exposais en courant seule le pays ; je n’en ai plus besoin maintenant. Qui ne respecterait une mère voyageant avec son enfant dans ses bras ?

Elle contemplait avec ravissement à travers ses pleurs ce fils tant regretté et s’étonnait de le trouver si vif et si robuste. Les commères accourues au bruit de l’événement entouraient de soins sympathiques la femme inconnue dont elles se détournaient quelques minutes auparavant. Chacune d’elles brûlait du désir d’entendre de sa bouche le récit de ses souffrances et de ses aventures. Ce n’était pas sans recevoir bien des coups et des bourrades que le pauvre petit avait appris à pirouetter sur l’extrémité d’un bambou ; le sourire qu’il prodiguait au public durant ce périlleux exercice était le fruit de beaucoup de larmes : il trouva donc bien douces les caresses de sa vraie mère. Quant à la vieille qui passait pour son aïeule, elle aurait encouru un châtiment sévère, si son méfait eût été constaté sur le territoire de la compagnie. Le chef du village se contenta de la mettre au piquet durant toute une journée, la laissant ainsi exposée aux railleries de la population et aux ardeurs d’un soleil dévorant. On parla de la fouetter ; mais on lui fit grace de ce surcroît de peine en considération de la plaie mal fermée qu’elle portait à la jambe gauche : cette blessure provenait de la morsure d’un chien qui avait attaqué la vieille dans une de ses expéditions nocturnes.

Quinze jours après cette mémorable rencontre, Padmavati rentrait à Pondichéry : elle n’alla point directement rejoindre le père de son enfant ; il lui fallait, à la suite de tant d’humiliations, un triomphe complet, une de ses amies lui prêta des vêtemens pareils à ceux qu’elle portait dans des temps plus heureux ; elle couvrit son enfant d’une tunique d’indienne, lui attacha au cou un collier de corail et le coiffa d’un bonnet de mousseline à paillettes d’or, sous lequel ses cheveux se relevaient en boucles gracieuses. Cette toilette achevée, elle gagna l’esplanade où les cipayes faisaient l’exercice. La compagnie de grenadiers à laquelle appartenait Pérumal manoeuvrait entière et sur deux rangs. Padmavati la reconnut de bien loin et la montra du doigt à l’enfant, qui