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pas un livre, pas un pauvre journal. Une guitare, dont chacun rôde plus ou moins, et quelques livres de prières, voilà ce qui doit suffire à la vie intellectuelle des dames de l’intérieur du Pérou ; aussi sont-elles, comme le veut l’Évangile, les très humbles servantes de leurs maîtres et seigneurs, qui les traitent avec une supériorité brutale dont les pauvres femmes ne peuvent que rarement se venger.

De Chinchero à Guamanga, la route n’offre de remarquable que les larges ravins qu’il faut à chaque instant monter et descendre. Tout près de la petite ville de Guamanga, l’on traverse sur un pont de pierre un ruisseau profondément encaissé, dont les eaux font tourner plusieurs roues de moulins à farine. Le blé est le principal produit et à peu près la seule culture du pays. L’aspect de Guamanga est riant ; les maisons, surtout celles des faubourgs, paraissent s’élever du milieu de jardins verts : en approchant, l’on reconnaît que cet effet de verdure est produit par les cierges et les raquettes (plantes de la famille des cactus). Les maisons, couvertes de tuiles rouges, sont blanchies avec une terre crayeuse d’un blanc éclatant ; les rues sont droites et bien alignées, et celles que n’ont pas bouleversées les torrens qui, pendant la dernière saison des pluies, couraient par la ville et inondaient les maisons, sort propres et bien pavées. Les autres sont encombrées de monceaux de pierres et de terre. La place de la cathédrale est de trois côtés entourée de portiques qui lui donnent un air élégant et monumental. Les églises de Guamanga n’ont absolument rien de remarquable, non plus que les couvens. Comme partout, les monastères de femmes sont conservés, mais les biens des religieuses sont appliqués au service de l’état. Guamanga est bâtie au pied de l’un de ces nombreux rameaux de montagnes qui descendent en toute direction de la chaîne principale des Arides. La plaine, qui l’entoure des deux côtés est cultivée en blé le manque complet d’arbres, la sécheresse de la terre crevassée à, chaque pas, la stérilité des montagnes qui, de tous côtés, ferment l’horizon, donnent à ce paysage un aspect sévère.

Guamanga est le chef-lieu de préfecture du département d’Ayacucho. Un des préfets qui se sont succédé dans cette ville, le général Frias, a commis, pendant son administration, des horreurs renouvelées des Espagnols au temps de la conquête. Sans consulter ses administrés, il s’était déclaré pour le général Gamarra, et avait commencé par lever des contributions forcées, par s’emparer de tous les chevaux et mulets du département, et presser tous les hommes en état de combattre, blancs, métis et indiens. Des femmes vieilles et infirmes furent chassées du département dans les vingt-quatre heures ; des jeunes gens des premières familles de la ville furent condamnés à mourir sous le bâton. Quand Frias fut tué dans le combat livré près de Huancavelica, il y eut à Guamanga une explosion de joie. Une dame me