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de sept pieds, et, dans leur épaisseur, on a réservé des niches qui peuvent chacune contenir une bière. Les morts sont posés en long dans cette espèce de columbarium, dont on maçonne l’ouverture. Dix ans après, la niche est démurée, la bière ouverte, et les ossemens, couverts de chaux vive, sont jetés dans la fosse commune. La sépulture appartient de nouveau au premier occupant qui paiera 20 piastres pour cette singulière location de dix années. Pour 200 piastres, l’on devient propriétaire à perpétuité de l’une de ces niches. Ainsi les parens et les amis de tout mort qui n’a pas payé 200 piastres ne peuvent venir pleurer sur la tombe ou plutôt contre la tombe des leurs que pendant dix années. Ce temps passé, il faut qu’ils s’agenouillent sur la fosse commune, qui depuis a englouti tant de nouveaux cadavres. Bien des gens trouveront cet usage d’une inconvenance parfaite ; mais les Liméniens, si désireux de bien vivre et si fort attachés à ce qu’ils ont sous les yeux et sous la main, oublient facilement ce qu’ils ne voient plus ; puis, que leur importent les ossemens des leurs ? Le souvenir d’un corps défiguré par la mort les fait frémir ; ils en détournent leur pensée, et l’arrêtent plus volontiers sur l’ame du défunt qu’ils croient sauvée, s’il est mort après confession ; dans le cas contraire, ils espèrent dans la miséricorde infinie de Dieu, et surtout dans les messes et prières (responsos) qu’ils prodiguent à l’aine dont le salut est douteux.

Le jour des Morts, il me prit envie d’aller, comme tous les habitans de Lima, au Panthéon. Ce cimetière présentait l’aspect le plus varié. Les femmes de Lima ont un tel désir de voir et d’être vues, les hommes aiment tant le plaisir, que partout où quatre personnes s’assemblent, on voit accourir des milliers de curieux. Tout leur est bon : courses de taureaux, processions, sermens à la constitution, fêtes des vivans, fêtes des morts ; vous êtes sûr de trouver à toutes ces réunions nombre de tapadas qui montrent leurs bras nus couverts de bracelets et leur petit pied serré à marcher sur les ongles, ou des señoras en toilette de bal, coiffées en cheveux raides et l’éventail à la main, occupant à elles seules un large cabriolet. Les rues qui mènent au Panthéon étaient remplies de promeneurs, les balcons garnis de femmes plus ou moins élégantes, toutes bien peignées et la tête surchargée de fleurs naturelles. Les voitures, marchant sur deux files, s’arrêtaient aux portes du cimetière ; les cavaliers entraient dans la première enceinte, et la foule circulait librement partout. Une chapelle de forme octogone sépare cette enceinte des autres cours, où sont nichés les corps des morts. La chapelle est ouverte, et ses deux portes donnant, l’une sur la cour, l’autre sur la première enceinte, elle sert de corridor à la foule.

Sur les marches qui des deux côtés conduisent à la chapelle étaient assis des groupes de tapadas, la plupart en saya rota (saya déchirée, qui indique la prétention de rester incognito), arrêtant les cavaliers ou