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mis sous la protection de l’ame bénie pour laquelle le moine achevait son responso, et le moine lui-même, crédule et besoigneux comme ses autres pratiques, employait l’argent qu’il venait de recevoir en billets de loterie, qu’il mettait également sous l’invocation de l’ame pour laquelle il venait de prier. C’était là un joli tableau de genre : le Panthéon dessiné comme un jardin à la française, la mêlée de tapadas, d’officiers au large plumet et au sabre traînant, de chiollos, d’Indiens, tous groupés autour des sorteros ou des moines, et le moine, sa cigarette à la main, priant dévotement pour l’ame du corps qu’on lui nommait, moyennant 2 réaux qu’il plaçait à l’instant même sur un billet de loterie !

Lima a ses fêtes politiques aussi bien que ses fêtes religieuses. Tous les ans, le 9 décembre, on y célèbre en grande pompe l’anniversaire de la bataille d’Ayacucho. Il y a messe solennelle, salves d’artillerie sur la Plaza Mayor, et harangue au palais présidentiel, dont les portes sont ouvertes à la foule. Le président, placé sous un dais, écoute gravement les discours des chefs de corps et des hauts fonctionnaires. Le soir, le palais et l’hôtel-de-ville sont illuminés. Le théâtre de Lima célèbre cet anniversaire à sa façon par des pièces de circonstance. Celle que je vis représenter offrait un mélange assez curieux de scènes allégoriques et de scènes militaires. On y voyait l’Ambition, diadème en tête, s’emparer de la toute-puissance, puis la Constitution venir arrêter la coupable, que le Pérou, habillé en sauvage, menaçait de toute sa fureur. Après force déclamations entre ces trois personnages, un colonel décidait les troupes de l’Ambition et celles de la Constitution à fraterniser. Les soldats finissaient par s’embrasser et par décharger leurs fusils en l’air. Il faut rendre cette justice aux Liméniens, qu’ils assistaient indifférens et presque moqueurs à cet étrange drame ; j’entendis même un général, dans la loge duquel je me trouvais, dire tout haut qu’il ferait mettre l’auteur en prison.

Les combats de taureaux sont le complément obligé d’une fête espagnole. À Lima, tout s’y passe à peu près comme en Espagne même. Seulement chaque combat est précédé d’un exercice très brillant d’origine péruvienne, et dont les Liméniens sont fiers à bon droit : c’est celui des capeadores à cheval. Un cavalier agitant un manteau royal entre dans l’arène au grand galop, passe auprès du taureau, et agite le manteau sur ses cornes. Le taureau s’élance en bondissant pour atteindre l’agresseur ; mais l’intrépide cavalier, faisant rapidement tourner son cheval autour du cirque, arrête constamment le taureau en lui présentant le terrible manteau rouge. Après deux ou trois tours, l’animal, découragé, reste immobile, et le cavalier se retire au milieu des applaudissemens de la foule.

Malgré l’empire des doctrines chrétiennes, qui auraient dû supprimer