Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais par des qualités morales, qu’il doit manifester les attributs sacrés de l’autorité, afin de faire rayonner dans les chefs des peuples les vertus autrefois latentes dans les symboles qu’ils adoraient.

L’homme de lettres est un être tout moderne, et dont les siècles antérieurs n’avaient aucune idée. Jamais à aucune époque on n’avait vu une classe d’hommes faire de la pensée sa profession. On avait vu des militaires, des magistrats, des évêques prendre la plume pour raconter leur vie, leurs campagnes, ou soutenir une controverse, mais non pas des hommes écrivant parce que cela est leur état d’écrire. Ce phénomène s’explique néanmoins lorsqu’on réfléchit à l’époque qui a vu naître et aux causes qui ont formé la classe des hommes de lettres. Lorsque l’ancienne société française fut près de sa fin, il se présenta un spectacle analogue à celui qu’avait offert déjà le XVIe siècle. À l’époque de la réformation, les anciens chefs des nations, les princes de l’église n’étaient plus que des chefs titulaires et n’étaient plus prêtres que de nom : ils portaient les titres du sacerdoce sans en avoir ni les caractères ni les vertus. Alors des hommes survinrent qui avaient en eux les caractères qui font les chefs des peuples sans en avoir les titres ; ils s’emparèrent de la direction des consciences, et le grand schisme de l’église éclata. Il en fut de même au XVIIIe siècle : toutes les institutions tombaient en ruines, et ceux qui avaient pour mission de les garder ne les relevaient pas ; la noblesse avait perdu sa tradition, le clergé ne parlait plus aux populations : Alors se forma une association d’hommes éminens et ardens qui prirent les places laissées vides, et qui, sans aucun titre, s’assurèrent l’opinion publique, ou plutôt la créèrent : ce furent ces hommes qu’au dernier siècle on appelait les philosophes et que nous appelons aujourd’hui les hommes de lettres. Dès qu’ils apparurent, ils furent unanimement reconnus comme les véritables rois de l’époque ; marchant à leur suite, les abbés se firent philosophes, et les rois hommes de lettres. Tels furent les commencemens de cette classe d’hommes qui fit la révolution et qui n’a cessé depuis de régler, de conduire l’opinion publique, de pétrir pour ainsi dire chaque jour les molles consciences et les faibles caractères de notre temps. La seule différence qu’il y ait entre les réformateurs et les hommes de lettres du dernier siècle, c’est que les premiers avaient au plus haut degré le sentiment religieux, tandis que les seconds n’avaient tout au plus qu’un grand sentiment d’humanité. La différence vaut la peine d’être notée, car elle peut expliquer pourquoi l’œuvre des réformateurs, la religion protestante, a vécu et vit encore aujourd’hui, tandis que l’œuvre des philosophes, la révolution, vit d’une vie si tourmentée et si incertaine.

Deux hommes au XVIIIe siècle ont surtout contribué à la formation de cette classe, et lui ont donné un but à atteindre. Ces deux hommes, qui