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et il semble probable que ce billet n’émanait pas simplement de ces inconnus, et se rattachait étroitement à la sombre machination de Morel.


III

Aussitôt après son arrestation, M. de Favras avait été conduit, à l’Hôtel-de-Ville, devant le comité des recherches. Avant de répondre un seul mot aux questions qui lui étaient adressées, il avait demandé formellement que le commandant-général et le maire de Paris fussent présens à son interrogatoire. On les fit appeler, et ils vinrent aussitôt. C’était la première fois que M. de La Fayette voyait Favras. Il répondit dans ce premier interrogatoire avec beaucoup de sang-froid et de fermeté, sans faire mystère de son royalisme et de son dévouement au comte de Provence. Quand il fut question de l’emprunt, il en parla avec un peu d’hésitation, avec quelques réticences, et avec la crainte évidente de compromettre malgré lui le frère du roi.

L’accusation, au reste, était encore fort indécise. Hors l’emprunt, les conférences avec Marquier et les indices vagues du projet d’enlever Louis XVI pour le mettre à l’abri d’un nouveau 6 octobre, elle avait peu à dire. C’était Morel, Morel seul, qui allait, quelques jours après, devant les juges du Châtelet, donner par sa déposition un caractère nouveau et odieux au marquis de Favras et à son complot. Ce n’était pas tout que de l’avoir livré, il fallait prouver que la prise était bonne. Il en fit donc un assassin et un traître. Avec une habileté singulière, il développa le plan fantasmagorique d’une conspiration immense qui mettait sur pied deux cent mille hommes de Strasbourg à Péronne et de Montargis à la frontière du Brabant. À ce projet imaginaire il rattacha adroitement l’épisode de la demande des chevaux à M. de Saint-Priest, les conversations avec le lieutenant Marquier, la levée pour la Hollande et l’emprunt de 2 millions. Il déclara que dans la pensée de M. de Favras, dont il s’avouait le complice, le meurtre de M. de Lafayette devait être le signal de cette contre-révolution terrible. Il fit plus, il déclara avec le plus révoltant cynisme qu’il avait demandé, lui Morel, et obtenu le rôle d’assassin dans cette tragédie. « Craignant, dit-il, qu’une main moins sûre ne fût choisie, je m’étais chargé de faire le coup moi-même[1]. » Il entrait à ce sujet dans les plus grands détails. « Le soir de l’enlèvement du roi, quatre hommes bien montés devaient se porter dans un endroit convenu pour attendre la voiture de M. de Lafayette. Dès qu’on l’aurait vue, deux des quatre cavaliers devaient aller au-devant au petit pas, faire signe au cocher

  1. Déposition de Morel, affaire Favras (Archives de la préfecture de police.)