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De leur côté, M. de Lafayette et M. Bailly, dégoûtés peut-être par le cynisme de Morel et voulant mettre leur conscience à l’abri du remords, écrivaient au lieutenant civil la fameuse lettre dans laquelle ils déclaraient que Morel avait été le dénonciateur de toute l’affaire[1]. Les amis de M. de Favras avaient donc bon espoir. Ni l’instruction, ni les témoins, ni les débats n’avaient produit à sa charge un nouveau fait de quelque importance. On se donna beaucoup de peine pour établir, sur la déposition de Mme Savournin, que M. de Favras avait mis à son chapeau une cocarde blanche, quelques jours avant le 6 octobre, au moment sans doute où les officiers du régiment de Flandre avaient eu la folie d’en faire autant. On interpréta péniblement quelques lettres écrites à M. de Foucault, son ami, afin de leur donner un sens inconstitutionnel ; bref, pour tout homme impartial et de sang-froid, il résulte de cette procédure que M. de Favras, bien qu’il s’en soit toujours défendu, avait réellement un projet, le projet de répondre à un coup de main contre le roi par un coup de main contre les agresseurs ; mais il paraît également démontré que le nec plus ultra de son plan eût été de soustraire le souverain à la domination de Paris en le conduisant à Péronne ou à Metz, d’où il eût pu gouverner librement. Ce projet était de nature à trouver place dans son rêve, et, s’il l’eût exécuté, la postérité aurait sûrement amnistié sa mémoire ; mais comment songer autrement qu’en rêve à une pareille tentative ? Il ne s’agissait de rien moins, disait-on, que d’assassiner MM. de Lafayette et Bailly, d’enlever de vive force, en plein jour, le roi et la famille royale à trente-six mille hommes armés et à trois cent mille citoyens qu’un coup de cloche pouvait faire mettre sous les armes. De quelle puissante armée disposait donc ce pauvre gentilhomme pour qu’il osât tenter un pareil coup de main ? On a dit qu’il était parvenu à rassembler douze cents cavaliers : c’était bien peu pour une telle entreprise ; c’était vouloir renouveler les faits les plus héroïques de l’antiquité. Et d’où vient qu’après les investigations judiciaires les plus minutieuses, il a été impossible de découvrir le dépôt de ces douze cents chevaux, de produire même un seul cheval ou un seul de ces cavaliers ? Évidemment on a fait à M. de Favras un rôle trop grand pour sa taille ; ou a vu des actes où il n’y avait encore que des songes, on a confondu la préméditation avec l’accomplissement. Au reste, cette idée que M. de Favras eut le premier d’enlever le roi et de le conduire à Metz pendant que l’on débattrait à Paris ce qu’Henri IV appelait « les questions de ménage » fut adoptée trois mois plus tard par Mirabeau. « La première pensée de Mirabeau, dit M. de Lamarck, était de sauver le roi dans le bouleversement général, de l’arracher aux mains des anarchistes, qui ne

  1. La lettre est aux archives de la préfecture de police.