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homme qui se respecte dans celle qui a toutes ses affections. Sois sûre de mon courage, de ma résignation ; n’importe le sort qu’on me prépare, ton cœur n’aura pas à rougir de m’avoir choisi. Je ne démentirai point le sang auquel je me suis allié… Caresse bien pour moi mes deux pauvres enfans, montre-leur souvent mon portrait[1] ; ils me reconnaîtront plus facilement quand je les verrai. À un âge si tendre, il est si facile d’oublier, et cela me ferait tant de peine ! Je me rappellerai toujours le moment de joie que m’a donné mon fils[2] un soir, lorsqu’à mon retour de Hollande, après quatorze mois d’absence, il m’a reconnu sur-le-champ et s’est écrié : — Ah ! papa, te voilà !… » Il ajoute plus loin : « C’est fort bien d’aimer ses enfans, mais il faut leur éviter autant que possible l’amertume de ses chagrins. Mon fils n’a jamais vu de prison ; je crains que ces soldats, ces guichets, ces verrous, tout cet appareil, ne l’émeuvent beaucoup au-delà de ce que tu peux en penser, et cette émotion pourrait avoir à son âge de grands dangers. » On accorda plus tard à M. de Favras la permission de voir cet enfant. Il raconte cette entrevue dans une longue lettre. « Sa vue m’a fait à la fois peine et plaisir. Le pauvre enfant avait le cœur bien gros, les larmes roulaient dans ses yeux. J’ai fait semblant de ne pas les voir pour ne pas les augmenter, et je lui ai parlé de goûter, ce qui m’a réussi… Puis on m’a amené ma fille ; cette jolie petite créature ne sent pas la position de son père… Heureux âge ! comme elle m’a caressé ! comme elle m’a dit des choses charmantes en bégayant ! Que j’aime ces enfans ! Au sentiment paternel se joint pour eux ce sentiment si tendre que m’a inspiré leur mère, et auquel ils participent sans qu’elle y perde rien… Tu fais toujours du noir, ma chère Caroline ; ah ! bannis-le, bannis-le ! » La confiance qu’il commandait, M. de Favras ne la partageait guère, et, à mesure que le procès avançait, des appréhensions sinistres traversaient son esprit et éclataient dans ses lettres. « Il est des momens, chère Caroline, écrit-il le 2 février, où le courage cède aux faiblesses de la nature ; mais il reprend toujours le dessus, quand le for intérieur ne reproche rien. Le sort s’est déchaîné bien cruellement contre moi : quelle aventure compliquée et extraordinaire

  1. Ce portrait est probablement celui qui a été gravé par Mayliaud. C’est le meilleur que nous connaissions. Il rend bien le profil sévère et beau de M. de Favras, son œil fier, ses sourcils noirs, son front élevé et son grand air de hardiesse et de résolution. Un autre portrait a été publié en tête du livre de M. de Cormeré, Justification de M. de Favras.
  2. Le marquis de Favras avait un fils et une fille. Son fils vit peut-être encore, bien qu’il m’ait été impossible, malgré beaucoup de recherches, de le découvrir. Avant 1830, il touchait une petite pension de la liste civile, et vivait très obscur et très retiré dans la commune de Lamotte-Tilly, près de Nogent-sur-Seine (Aube). Après les événemens de juillet, il quitta ce village. Vainement je me suis adressé à toutes les autorités du département, je n’ai pu découvrir sa trace.