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parlé de lui. Quelle occasion pour vanter ses vertus, ou pour accuser le monde de ses vices ! Mais Burns ne s’en fait pas accroire sur son propre compte : il est sensuel, et il le sait ; il est ivrogne, et il s’en repent, mais il ne laisse échapper aucune récrimination. Il a des passions, mais il sait que ce sont des passions, et il n’en a pas le cynisme ; il a l’esprit droit, et il est exempt de sottise. Comparez, par exemple, le livre des Confessions de Jean-Jacques, où l’orgueilleux écrivain se représente devant le tribunal de Dieu, se recommandant de sa propre bonté, et les prières où Burns supplie l’arbitre suprême des destinées d’épargner le pauvre mélange de bien et de mal qu’il a formé de ses propres mains.

Le doux Hebel n’est pas aussi vraiment populaire que Burns, mais il a son originalité bien marquée : il parle au peuple le langage naïf des nourrices à leurs enfans, il s’adresse à lui avec une humilité de cœur telle qu’on dirait qu’avant de lui parler, il s’est prosterné devant. Dieu, a fait son examen de conscience, a émondé son cœur de tout désir et purifié son ame de toute pensée qui n’est pas une pensée strictement populaire. En le lisant, on oublie que le mal existe, et l’on ne peut se figurer qu’il y ait quelque chose qui s’appelle le vice ou le crime. Les méchans y font l’effet d’êtres symboliques, et les corrompus de populations lointaines et à demi fabuleuses. Il n’y a qu’un sentiment qui soit exprimé dans Hebel, sentiment qui est essentiellement populaire : la joie naïve d’être bon et l’orgueil naïf de se sentir tel.

Voilà les deux seuls poètes qui puissent véritablement porter le nom de poètes populaires. Si nous sortons des pays étrangers et si nous descendons jusqu’aux premières années de ce siècle, nous rencontrons Béranger, quia la réputation d’être un poète populaire, et qui ne l’est pas dans le sens qu’on doit attacher à ce mot. Béranger est surtout un poète national. Son souvenir et ses œuvres s’attacheront à une date historique impérissable, et c’est là surtout ce qui lui assure une place élevée dans la mémoire des générations. Malgré la couleur politique trop vivement tranchée de certaines de ses chansons, il n’est point un poète de parti ; il a échappé aux partis politiques à force d’esprit national, et au libéralisme, au républicanisme à force d’esprit patriotique ; il a raconté les douleurs de l’invasion, les angoisses et le morne désespoir des populations, et non pas les ambitions, les convoitises ou les passions de telle ou telle classe de la société. Béranger a été, à un moment donné, le poète de cette personne morale appelée la nation française, mais nullement le poète des classes populaires, et en vérité cela est heureux pour sa gloire, car la lecture de ses chansons nous révèle clairement qu’il n’avait aucune mission pour cela. Au point de vue purement politique, Béranger est absolument irrépréhensible : il a exprimé un beau et noble sentiment, l’amour de la patrie. On nous