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On ne peut pas mieux achever un portrait. Remarquez bien que le portrait est d’un ami de la république.

Les chansons rustiques, populaires ou de fantaisie, sont bien supérieures aux chants politiques. Si les arrière-pensées socialistes ne venaient pas à chaque instant gâter la sincérité des impressions et la grace des pensées, il y aurait là les germes d’une poésie véritable. Toutefois une chose nous frappe : dans ce recueil, toutes les idées sont à l’état de germe, aucune ne s’est épanouie complètement. Le recueil de M. Dupont a un défaut capital : il n’a pas d’unité de sentiment. Les sentimens et les passions dont se compose la nature humaine ne se sont pas fondus en un tout moral ; en un mot, l’originalité du poète n’est pas véritablement formée. Qu’est-ce qui compose l’originalité du poète ? C’est la manière dont tous les sentimens et toutes les passions de l’ame se sont combinés, agglomérés, unis, pour former un tout spirituel ; ce sont les modifications particulières qu’ont dû recevoir les sentimens, les blessures et les pressions qu’ont dû éprouver les passions pour pouvoir entrer dans ce tout moral. Or, il est évident que chez M. Dupont ce phénomène ne s’est pas encore accompli. Il y a de tout dans ce petit volume, de l’élévation, de la familiarité, de la subtilité, de la finesse, même de la sensualité ; mais aucune unité ne relie en faisceau ces sentimens, chacun d’eux s’en va de son côté sans s’inquiéter des autres, et de là résultent les discordances et les dissonances les plus désagréables. Les sentimens poétiques existent bien dans ce volume, mais ils s’y trouvent tous à l’état d’élémens poétiques purs et simples, à l’état de matériaux bruts. Ces germes mûriront-ils et s’épanouiront-ils ? Il faut l’espérer ; mais en vérité nous n’oserions rien affirmer hautement : c’est au poète lui-même de nous rassurer un jour. On sent bien qu’il y a quelque chose dans tous ces élémens qui réalisent à la lettre le mot d’Horace : Disjecti membra poetœ ; mais il est fort difficile de dire au juste quelle forme ils revêtiront. L’épanouissement possible de ce talent est enveloppé d’obscurité et de nuages. Quelques strophes prises çà et là justifieront notre assertion en donnant une idée du talent de l’auteur. Voici, par exemple, une strophe de la chanson des Fraises :

O fraise ! un poète latin
T’aurait fait mûrir sur le sein
De Vénus ou de sa maîtresse ;
Je t’aime mieux où tu te plais,
A l’ombre où les rossignolets
Modulent sans fin leur tendresse.

Ronsard ou tout autre poète du XVIe siècle n’aurait pas mieux dit. Voici maintenant une strophe de la pièce intitulée la Véronique :

Fleurs touchantes du sacrifice,