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flots et les ont soulevés ? — Non, non, que la nature porte la faute de mes inexpériences ! Quant aux fautes qui relèvent directement de mon caractère et qui violent les lois morales, la bassesse, la flatterie, la haine, la calomnie, voilà les fautes qui seules pourraient engager ma responsabilité, et celles-là, je ne les ai pas commises. La douleur n’a pas eu besoin de me purifier, la souffrance n’est pas venue m’éprouver pour me faire expier des fautes dont je n’ai point à répondre, mais pour me démontrer ma parenté avec ces foules innombrables d’êtres qui m’environnent, pour extirper en moi les germes de la vanité et de l’orgueil qui n’auraient pas tardé à se développer. Non, ce n’est pas le sort que je dois accuser, c’est la Providence que je dois bénir. — Tels sont les baumes que la divine Providence et la tendre nature tiennent en réserve pour guérit les blessures quelle jeune homme reconnaît maintenant lui avoir été faites par une main amie.

Est-ce là une histoire idéale ? Non, elle est au contraire très réelle, pourvu toutefois que l’individu soit un être honnête ; car, encore une fois, nous ne nous servons des vices et des infractions aux lois morales que comme de moyens pour découvrir les véritables devoirs de l’homme de lettres et les lois morales auxquelles il doit obéir. Si l’homme de lettres est pauvre et s’il a le cœur noble, il expérimentera cette histoire dans ses plus petits détails. Les joies et les remords de la pensée, les colères exhalées solitairement, les dépits silencieusement contenus, la lassitude, la résignation, puis la résolution soudaine et l’indifférence à l’endroit de sa condition succédant à cette résignation, il traversera successivement toutes ces étapes. S’il est riche au contraire, il n’expérimentera cette histoire qu’en partie, il n’en connaîtra que deux choses, ces premières joies irrespectueuses de la pensée et la compréhension plus tardive de cette vérité, que les choses de l’intelligence ne sont pas affaires de commerce, ni de jouissances spirituelles. Cependant, même lorsqu’il aura élevé sa pensée vers des sphères supérieures, même lorsqu’il aura acquis la certitude qu’elle doit être plutôt saintement respectée que follement aimée, même lorsqu’il lui aura assigné un but utile et grand, certaines qualités lui manqueront. Il aura toutes sortes de grandes qualités, l’austérité, la force, l’élévation, la correction sévère de la forme ; mais il est à craindre qu’une plus grande qualité que toutes celles-là n’entre jamais en lui : je veux dire la sympathie.

Voulez vous des noms pour vérifier la vérité de cette assertion ? Alors placez le nom de Goethe, par exemple, en regard des noms de Jean-Paul et de Fichte. Qu’est-ce qui a manqué à Goethe pour être tout-à-fait un homme complet ? Il a en partage la science, la pénétration, il a de plus l’étendue de l’intelligence, l’élévation de l’esprit, la fermeté du caractère, la rectitude du jugement, la patience dans le travail, la persévérance