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goût de trouver qu’il était plus naturel de marcher sur ses pieds que sur ses mains, et qu’il n’était pas convenable de mêler ensemble Rabelais et saint Paul, ou sainte Thérèse et Ninon de Lenclos ; le monde arrivera, si les hommes de lettres n’y prennent garde, à leur dire qu’il avait obéi en les admirant aux mêmes instincts que l’enfant en admirant les bizarres accoutremens d’un étranger, il arrivera à leur dire avec mépris, qu’ils n’ont été pour lui que des objets de curiosité, et il leur expliquera, avec plus d’érudition qu’ils ne lui en supposent, qu’ils ne sont pas pour lui autre chose que des monstres, dans le sens latin du mot monstrum. . Aussi bien le rôle que joue la littérature depuis long-temps commence à devenir dangereux. Passe encore si les écrivains gardaient pour eux seuls la folie qui leur est propre ; mais cette folie a prouvé qu’elle était contagieuse ; elle s’est multipliée à l’infini, et elle a attaqué les facultés morales d’une partie du public, si bien que la portion de ce public qui, est demeurée saine commence à demander qu’on porte remède au principe même du mal. Le mal a été si loin, qu’on a fini par les considérer comme une sorte de corporation politique dans l’état. Certaines lois sur la presse et surtout certains amendemens, n’ont pas d’autre but que celui-là.

Pour toutes leurs bizarreries, le monde, il est vrai, avait une excuse, c’est que ces excentriques étaient intelligens ; mais cet amour exagéré de l’intelligence est unie des superstitions de notre temps, et cette superstition tombera comme les autres. Lorsque les hommes s’interrogeront et descendront véritablement dans leur conscience, ils y trouveront la condamnation formelle de ce culte superstitieux ; ils se demanderont si l’intelligence est une excuse suffisante pour toutes les fautes, si l’intelligence excuse la sensualité, si elle autorise la vanité, si elle prêche la révolte, et je n’hésite pas à dire que leur conscience répondra : — Oui, l’intelligence excuse, autorise, prêche toutes les fautes et tous les vices lorsque je ne l’assiste pas, lorsqu’elle ne fait pas appel à mes conseils, lorsque je suis muette et forcée au silence. Mais les démons aussi ont de l’intelligence ; ils ont de plus ce que n’ont pas très souvent les hommes intelligens, de l’expérience ; ils ont de la tactique, de l’habileté, de l’esprit, de la ruse, des ressources de tout genre. En sont-ils pour cela plus aimables ? — Plus tard, les hommes verront sans doute que l’intelligence séparée des lois morales est presque impuissante pour le bien, mais en revanche très puissante pour le mal. Ils rougiront de leurs adorations, lorsqu’ils verront qu’un tyrannique Richard III, qu’un hypocrite Iago ont plus d’intelligence que les hommes qu’ils ont adorés seulement à cause de ce don précieux. Alors ils connaîtront que si l’intelligence était la plus haute de toutes les facultés, de grands scélérats auraient été sublimes et de grands saints méprisables ; ils frémiront en voyant qu’il leur faudrait estimer des esprits