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à M. Victor Hugo, l’ex-grand prêtre de l’art pour l’art ; demandez à M. de Lamartine, qui dans ses jours d’expansion, raconte naïvement qu’il se souvient vaguement d’avoir été poète. Leur conduite indique assez clairement que, s’ils avaient l’intelligence, de la poésie, ils n’avaient pas l’amour religieux de la beauté, et que, s’ils avaient les dons du poète, ils n’en ont pas eu les vertus. Cependant, si la littérature doit se régénérer, il importe au contraire que l’écrivain ait plutôt ces vertus que ces dons. La littérature a changé de forme, mais elle n’a pas changé d’esprit. L’esprit de Voltaire et du XVIIIe siècle est toujours là qui la guide, secrètement et qui la mène sous des masques divers ; elle est toujours un bélier d’attaque, une machine de guerre ou une arme de défense, et aussi, soit qu’on l’emploie pour le mal ou pour le bien, pour la démolition ou pour la conservation, elle est plutôt une épée de combat qu’un flambeau bienfaisant.

Si la littérature doit continuer à être ce qu’elle est depuis soixante ans, si elle doit continuer à servir la cupidité et l’avidité des uns, à protéger les intérêts, des autres, il est inutile de lui parler de devoir, car le devoir n’a rien à faire avec les intérêts ; mais si, au lieu d’être l’auxiliaire des passions, la littérature doit redevenir l’humble servante de la vérité, si tous ses désirs doivent de nouveau se transformer dans la noble ambition de servir la beauté, l’écrivain doit cesser d’être ce qu’il est aujourd’hui, et tous les devoirs que nous avons indiqués doivent être les siens.

Ces devoirs que nous avons énumérés et décrits, nous pouvons les ranger sous deux chefs principaux. — L’écrivain ne doit pas laisser dominer son caractère par sa profession ; — il doit ne servir d’autre maître que la vérité. — Voyons comment ces deux devoirs, s’ils étaient une fois accomplis, dissoudraient la littérature telle que le XVIIIe siècle l’a faite, et la ramèneraient dans des routes plus sûres, plus belles, plus près de la nature.

Et d’abord, quel est le moyen pour que l’écrivain, s’il ne peut plus être naïf comme autrefois, soit au moins plus près de la nature, et pour qu’il puisse rentrer dans les saines et vraies conditions de la vie humaine ? Le moyen, c’est qu’il soit le moins possible un homme de lettres, qu’il soit avant tout un homme. Si l’écrivain laisse prédominer en lui sa profession, la vanité, l’orgueil, la présomption, tous les défauts et tous les vices que nous avons décrits prendront le dessus ; au contraire, s’il laisse dominer son caractère, il aura toutes les vertus de l’homme et les unira sans peine aux qualités propres à son éclat. Qu’il fonde en lui l’écrivain et l’homme si bien que l’on ne puisse pas dire où finit l’un, où commence l’autre. Effaçons, effaçons en nous autant que possible le métier et l’état pour ne laisser voir que notre caractère et notre vraie nature. De même aussi, que l’écrivain,