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la rivière ; alors la distance se trouve doublée, car il faut faire un long détour dans l’intérieur pour chercher son chemin à la pente des coteaux, à moins qu’on ne veuille, comme un Esquimaux s’aventurer dans une pelota, sorte de sac en cuir traîné par un cheval à la nage, au risque de faire le plongeon dans le moindre remous. Les habitations sont rares, sur cette terre submergée ; cependant, sur les mamelons, et les tertres que l’eau n’atteint pas, l’œil découvre çà et là quelques cabanes et des troupeaux. Des nuées de moustiques en chassent le sommeil ; on ne peut le trouver qu’au-dessus de la zone des vapeurs dans des espèces de cages ou plates-formes élevées en l’air sur des troncs de palmiers. À dix lieues environ de la capitale commence Ie massif de l’Assomption ; le Sahel d’Alger en peut donner une idée, exagérée toutefois, car il n’y a pas dans tout le pays une montagne dont la hauteur dépasse quatre-vingt-dix toises. Le sol, formé d’une argile rougeâtre et d’agrégats sablonneux, est très fertile. La population tout agricole y cultive du manioc, du maïs, des cannes à sucre, du tabac et du coton.

C’est Francia qui donna à l’agriculture du Paraguay l’essor vigoureux qu’elle a pris ; il força le laboureur à faire, rendre à la terre deux récoltes par an. Les potagers de l’Assomption, abondamment pourvus de légumes, sont entourés de bosquets d’orangers. Le climat est délicieux, d’une salubrité comparable à celle des Canaries ; l’air vous pénètre de volupté, les ciel a la sérénité et la pureté du ciel de l’Ionie ; l’hiver est frais, l’été brûlant ; en juillet pourtant on voit des gelées blanches, et dans les plaines le vent du sud balaie parfois des flocons de neige, mais les arbres ne se dépouillent point de leur feuillage, et la prairie conserve ses fleurs toute l’année ; d’abondantes rosées entretiennent la terre dans une douce moiteur.

Les habitans sont de race espagnole croisée de sang guarani[1] ; ils semblent modelés à l’image de leur ciel doux, indolens, pacifiques, inoffensifs, pénétrés d’un sentiment profond de l’autorité, obéissant aux ordres du président comme à la loi divine, respectueux envers leurs supérieurs, bienveillans et affectueux aux hôtes que le hasard leur envoie. Leurs besoins sont peu nombreux et facilement satisfaits ; lis ignorent le luxe de l’Europe et n’en ont point le goût. Des pieux fichés en terre, avec des feuilles et de la terre gachée dans les intervalles, un simple rez-de-chaussée sans étage, une toiture en paille, voilà leurs habitations, peu différentes, en vérité, des huttes de leurs aïeux guaranis. Leur vêtement est de la dernière simplicité : pour les femmes, une chemise sans manches serrée à la taille ; une chemise et un pantalon pour les hommes, avec l’inévitable poncho pour tous, et tout cela en toile grossière de coton fabriquée dans le pays ; les enfans vont nus la plupart du temps, souvent jusqu’à l’âge de dix à douze

  1. Les Guaranis sont les indigènes du pays.