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mille ruisseaux qui murmurent dans les cailloux. Les faubourgs n’offrent qu’un amas de huttes en paille peuplées par une classe abjecte d’Indiens. La population ne dépasse pas huit ou dix mille habitans ; c’est le chiffre qu’elle atteignait en 1815 et à peu près le même qu’à la fin du siècle dernier. Les églises, autrefois, si célèbres par leurs richesses, sont décorées simplement ; après l’expulsion des jésuites, l’avidité des gouverneurs, et plus tard l’inexorable politique de Francia, les ont dépouillées de leurs ornemens précieux. On trouve dans la capitale du Paraguay bon nombre d’ouvriers orfèvres, de charpentiers, de forgerons, doués en général d’un assez grand talent d’imitation.

Au-delà du massif de l’Assomption s’étend la zone des pâturages, des grandes fermes (estancias) où l’on élève des bestiaux, et plus loin, se prolongeant jusqu’à la rive du Parana, les anciennes missions des jésuites (au nombre de huit) devenues propriété, nationale, et les forêts où se récolte la fameuse herbe du Paraguay. L’élève du bétail était presque abandonnée quand Francia vint soudain lui imprimer une vie nouvelle ; il avait besoin de bœufs pour nourrir ses soldats, de chevaux pour remonter sa cavalerie ; et en quelques années le Paraguay, qui était tributaire de l’Entre-Rios pour cette branche de commerce, fut en état d’exporter des cuirs, des chevaux et de la chair boucanée. Nous avons vu combien sont simples les habitudes de la population agricole ; celles des pasteurs le sont encore davantage. Une peau de bœuf sert de porte à la maison, de volet à la fenêtre ; pour tout meuble un hamac en filet, une marmite reposant sur les deux pierres du foyer, une bouilloire remplie d’eau chaude pour faire infuser la gerba, l’herbe célèbre du Paraguay, dans le maté, petite calebasse armée de sa bombilla ou tube percé de trous dont on se sert pour humer l’infusion. Quant aux vêtemens, les pâtres, n’en connaissent point. Les maîtres-bergers (capatazes) seuls portent le poncho. Les Indiens des missions étaient autrefois assez bien traités sous les pères jésuites, et on leur donnait quelques pièces d’habillement ; aujourd’hui, père, mère, filles, garçons se maintiennent à l’état de nature ; ils aiment à se réunir, à se presser, souvent plusieurs familles ensemble, dans la même hutte ; peut-être est-ce par raison d’économie, le même feu les éclairant et les chauffant tous, une seule marmite contenant le repas qu’ils mangent en commun ; et comme la même pièce sert à la fois de cuisine, de salle à manger, de chambre à coucher, c’est comme une sorte d’antre immonde d’où s’échappent des effluves infectes et des tourbillons d’une visqueuse fumée.

Les jésuites avaient établi des yerbales ou plantations régulières d’yerba autour de leurs missions ; la récolte s’en faisait sans peine, comme dans nos vergers la cueillette des fruits ; aujourd’hui cette herbe se recueille sur les versans du Maracayou, à soixante ou quatre vingts lieues au nord-est de l’Assomption. L’herbe du Paraguay, que