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dépensée. Le métier, vanté avec tant de fracas, a donné dans Valeria la mesure de ce qu’il peut ; les auteurs ont épuisé toutes les ressources de l’industrie dramatique, et pourtant, malgré l’éclat des costumes et des décorations, malgré le nombre des incidens, ils n’ont produit qu’une œuvre languissante. Pourquoi l’auditoire n’est-il pas ému ? Pourquoi, en quittant le théâtre, ne souhaite-t-il pas entendre Valéria une seconde fois, et songe-t-il plutôt à se féliciter de sa patience ? C’est que les auteurs, au lieu de s’adresser au cœur, à l’intelligence, s’adressent aux yeux. Valeria ressemble plutôt au programme d’un ballet qu’à un drame historique. Si les applaudissemens sont justes, l’indifférence n’est pas moins légitime que les applaudissemens.

Était-il possible de trouver dans les contes d’Hoffmann le sujet d’un drame intéressant ? Oui, sans doute. Le poète qui veut puiser à cette source n’a que l’embarras du choix ; mais composer un drame qui s’appelle les Contes d’Hoffmann, c’est-à-dire choisir parmi les innombrables fantaisies de ce génie singulier quelques récits dont l’auteur devienne le héros, et de ces récits noués ensemble essayer de tirer une action qui présente un commencement, un milieu, une fin, c’est à mes yeux une tentative que le goût et le bon sens répudient avec une égale énergie. Le Majorat, le Sonheur au Jeu, le Conseiller Krespel, renferment certainement des élémens dramatiques ; je ne dis pas qu’il soit facile de les mettre en œuvre : pour en tirer parti, il faudrait sans doute une main habile et puissante. Chacun de ces récits offrirait du moins l’unité d’intérêt dont la poésie dramatique ne peut se passer. Que les novateurs déclament tout à leur aise contre l’unité de temps et de lieu, je ne perdrai pas mon temps à les combattre ; je crois très volontiers qu’il est possible d’émouvoir sans renfermer l’action entre les murs d’un palais, dans l’espace rigoureux de vingt-quatre heures. Quant à l’unité d’intérêt, que les docteurs appellent l’unité d’action, je n’en fais pas si bon marché. Une suite d’aventures ne constituera jamais un poème dramatique. Si MM. Jules Barbier et Michel Carré croient avoir répondu d’avance à toutes les objections en donnant à leur ouvrage le nom de drame fantastique, ils se trompent étrangement. Faust, Manfred, le Songe d’une nuit d’été, fantastiques au premier chef, si l’on veut faire de ce genre un sujet d’accusation, nous offrent pourtant l’unité d’action, tout aussi bien que les créations les plus pures du théâtre d’Athènes. MM. Jules Barbier et Michel Carré ont choisi trois contes d’Hoffmann, et les ont encadrés entre un prologue et un épilogue. Dans la pensée des auteurs, chacune de ces aventures appartient, à la vie d’Hoffmann ; aussi n’ont-ils pas hésité à mettre en scène Hoffmann. J’ai toujours pensé qu’il est impossible de mettre en scène un artiste, un poète, et je n’avais pas besoin de cette dernière épreuve pour me confirmer dans ma conviction. N’est-ce pas, en effet une immense, une terrible responsabilité que de faire parler l’homme qui a créé tant de personnages originaux, inventé tant d’incidens merveilleux ? Ou bien, pour ne pas dénaturer le caractère que vous voulez nous montrer, vous emprunterez les paroles mêmes du poète, et vous ne ferez qu’un pastiche ; ou bien, donnant libre carrière à votre fantaisie, vous ferez du poète un personnage que nul ne reconnaîtra. Je ne veux pas m’arrêter à discuter le prologue des Contes d’Hoffmann ; je ne veux pas demander à MM. Barbier et Carré pourquoi ils ont fait du conteur allemand une