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n’est pas coupable des extravagances qu’on a tirées du grand principe de la fraternité. La révolution française a donné le démenti le plus éclatant à quiconque voudrai faire de la société une communauté où tous les rôles seraient assignés, d’avance à chacun des sociétaires avec des charges égales et des bénéfices égaux, car elle a proclamé la liberté de tous les citoyens, institué la concurrence illimitée, brisé toutes les corporations, même les plus respectables. Elle n’a pas fait de la France un couvent, où chacun a la même tâche que son voisin et mange au même réfectoire, selon le dogme imbécile de la solidarité sociale. La révolution a fait de la France un immense atelier où chacun travaille selon ses forces et selon ses besoins, n’ayant aucun joug sur sa tête, et mettant, sa fierté à ne rien devoir qu’à soi-même. La révolution a dit à tout citoyen : Tu ne dépends plus que de toi-même, fais toi-même ta destinée. Dans la déclaration des droits et des devoirs de l’assemblée constituante, la justice, c’est-à-dire le respect de la liberté, est seule consacrée ; il n’est pas même question de l’assistance et de la charité publique. En effet, c’étaient surtout les droits des hommes que l’assemblée constituante voulait revendiquer et établir. Or, il, n’y a pas de droit à l’assistance, et dans la société comme dans l’individu, la charité est un devoir auquel ne correspond aucun droit. Le prétendu droit à l’assistance est un droit faux, un encouragement à la paresse, au vice, au désordre. L’assemblée constituante se proposât d’émanciper l’homme et de donner un ressort énergique à son activité ; elle s’est bien gardée de briser d’avance ce ressort, d’affaiblir la salutaire nécessité du travail, de l’économie, de la prévoyance, de toutes les vertus sans lesquelles il n’y a pas d’homme libre et de vrai citoyen. Le vrai citoyen s’efforce de se suffire à soi-même ; il ne demande aux autres citoyens et à l’état, qui les représente, que la justice, à savoir, une égale protection pour son travail. Dans une nation libre, il n’y a de Dieu qu’au ciel, et l’état, n’est la providence de personne. Mais dans la société la meilleure, celle où les mœurs de la liberté fleurissent davantage, il y a toujours d’inévitables misères : il y a les tristes jeux de la naissances et du hasard, des accidens imprévus, mille sources peut-être intarissables de souffrances et de vices. Comme l’homme n’a pas accompli tous ses devoirs envers ses semblables, s’il se borne à leur rendre justice et s’il ne leur tend pas une main amie, la société, dépositaire de tous les devoirs comme de tous les droits, doit, dans la mesure de ses forces, selon les temps et les circonstances, venir au secours de la misère, la prévenir s’il se peut, la réparer autant qu’il est en elle, et toujours la consoler en se montrant envers elle compatissante et généreuse. Oui, je l’ai dit, et je le répéterai toujours, dussé-je passer à mon tour pour un socialiste, l’état doit avoir aussi des entrailles[1]. Il doit,

  1. Partout dans nos ouvrages, et surtout dans un petit écrit intitulé Justice et Charité, 2e édition, page 54.