Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En 1821, un avocat nommé Nuñez Caserès profita de la réaction de mécontentement ou d’indifférence qui s’était opérée autour du drapeau espagnol pour arborer à Santo-Domingo le drapeau colombien et se proclamer président ; mais une vieille rivalité municipale existait entre Santiago, ville importante de l’intérieur, et Santo-Domingo : une scission éclata presque immédiatement, et les quadruples sauvés par Boyer du pillage du trésor de Christophe jouèrent, dit-on, de part et d’autre un rôle important dans l’affaire. Vu à distance, le mouvement qui venait de soumettre toute la partie française au successeur de Pétion pouvait passer pour une réaction mulâtre, et celui-ci, qui convoitait ardemment l’est, y avait, habilement semé la division, espérant qu’à la faveur de l’espèce de solidarité que sa couleur, son récent triomphe sur l’influence africaine établissaient entre la majorité sang-mêlée de la partie espagnole et lui, il se ferait aisément accepter comme médiateur. En effet, une des deux factions l’appela sous l’impression de la sécurité relative qu’il inspirait, rien n’avait été organise pour la défense, et son armée, divisée en deux corps qui pénétrèrent l’un par le nord, l’autre par le sud, arriva sans coup férir à Santo-Domingo, où il n’eut rien de plus pressé que de proclamer la constitution de l’ouest (9 février 1822).

Le noyau castillan n’avait partagé cependant ni cette indifférence ni cette sécurité. Devinant d’avance où voulait en venir Boyer et ne pouvaut pas attendre le moindre secours du gouvernement de Madrid, il se souvint du drapeau qui, deux fois déjà, avait sauvé la partie espagnole de l’invasion de l’ouest, et une députation de notables se rendit secrètement auprès du gouverneur de la Martinique pour solliciter la protection de la France : Une flottille commandée par le contre-amiral Jacob se dirigea aussitôt vers Saint-Domingue ; mais dans l’intervalle l’escamotage annexioniste de Boyer s’était accompli. Les troupes noires, qui inondaient déjà tout le pays, y comprimaient par la terreur l’explosion des tendances françaises, et le contre-amiral Jacob n’arriva à temps que pour recueillir ceux des habitans qui s’étaient le plus ouvertement compromis à notre intention.

L’habileté dont Boyer venait de faire preuve l’abandonna dans l’administration de cette facile conquête. Appliquer ouvertement, dans un pays où le quart de la population est d’origine blanche et où la moitié des sang-mêlés revendiquent cette origine[1], l’article de la constitution qui interdisait la propriété aux blancs, il n’y fallait pas songer ; mais Boyer l’appliqua d’une façon indirecte, soit en obligeant à se naturaliser

  1. Les métis clairs s’appellent eux-mêmes « blancs du pays » (blancos de la tierra).