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je consentirai même à reconnaître les grades crées par les insurgés. » Amnistie et fédération étaient, en un mot, synonymes pour Soulouque, et ce quiproquo dura plusieurs mois.

J’ai dit quels mécomptes Soulouque rapporta de son expédition de 1849, mécomptes d’autant plus cruels qu’après ces assurances répétés d’amnistie, il s’attendait à être reçu dans l’est à bras ouverts. Les haines de peau s’ajoutaient à l’exaspération du vaincu pour envenimer la blessure dont saignait ce sauvage orgueil. Les vainqueurs étaient non-seulement des rebelles, mais encore des mulâtres, ainsi qu’il les nomme, et son idée fixe de conquête se transforma en idée fixe d’extermination. La soif de l’or, qui est venue égaler chez Soulouque la soif du sang, a aussi sa part dans les préparatifs de destruction qu’il fait contre les « Espagnols, » car l’idée d’Espagnols ne se sépare pas encore dans cette partie du monde de l’idée de quadruples, de reliquaires précieux, de vierges en or massif. C’est là l’appât qui de loin fascinait Toussaint, qui attira Dessalines jusqu’aux portes de Santo-Domingo, et qui tout récemment encore, lors de la réaction africaine qui sépara la mort de Guerrier de l’avènement de Riché, appela Pierrot dans l’est, où il fut aussi mal reçu que devait l’être plus tard son empereur.

Ne toucherions-nous pas décidément au secret de Soulouque ? Si le tyran nègre maintient contre les mulâtres atterrés la compression de 1848, n’est-ce point par la crainte, d’ailleurs très chimérique, de les voir exploiter, lors de la tuerie générale de Dominicains qu’il projette, la solidarité de désespoir qui les unirait à la majorité sang-mêlée de cette population ? Si par contre il ménage tant les piquets, c’est qu’il les juge sans doute indispensables à cette œuvre d’extermination, où ils déploieraient, avec une science et un aplomb de cruauté qu’eux seuls possèdent encore dans la patrie de Biassou, ces furieuses antipathies de couleur dont ils sont les derniers dépositaires. L’invasion de la partie espagnole, si tant est que la partie espagnole veuille se laisser envahir, n’offrirait-elle pas en outre une solution amiable du différend survenu entre le gouvernement et les piquets sur la question de pillage, question ajournée tant que la fabrication du papier-monnaie et les marchés de fournitures les aiderons à patienter, mais qui se reproduira inévitablement le jour où ce papier ne vaudra plus rien et où les négocians étrangers refuseront de livrer leurs draps. C’est là probablement encore ce qui explique comment Soulouque, après avoir pris si chaudement l’alarme sur l’attitude de ces dangereux créanciers, au point de faire fusiller les plus pressés, n’a pas craint d’en peupler les administrations et les états-majors. L’heure de régler venue, l’est serait là pour payer la rançon de l’ouest. N’est-ce pas enfin dans ces espérances d’un pillage dont elle s’exagère la richesse qu’il faut chercher