Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mal organisée est, dans ce grand individu qu’on appelle une nation, ce qu’est en chacun, de nous une volonté libre unie à un faible entendement, et qui, n’étant jamais fixée et arrêtée, s’agite et s’épuise en caprices impuissans. Conçoit-on une autorité éphémère et presque désarmée assurant la justice et la paix, et protégeant efficacement la liberté de tous contre les passions de tous que la liberté elle-même a déchaînées ? La grande œuvre de la charité civile suppose avant tout des pensées suivies et persévérantes. Quelle prévoyance demander à un pouvoir passager ? A-t-il le temps d’étudier et de résoudre des questions aussi compliquées, aussi difficiles que celles-là ? Il ne s’agit point d’un grand parti à prendre une fois pour toutes et à accomplir sur-le-champ, mais d’une entreprise de longue haleine à poursuivre toujours sans la terminer jamais : c’est là surtout qu’il faut, sur un plan profondément conçu, une action mesurée, lente et incessante. La pure démocratie, avec sa fougue et sa mobilité, est incapable de tout cela.

Voilà pourquoi le bon sens public aime à invoque une autorité libérale, mais solidement constituée ; voilà pourquoi enfin toutes les nations européennes aspirent et arrivent peu à peu à cette grande forme de gouvernement qui rattache l’avenir au passé, continue, en la perfectionnant, la vie séculaire des peuples, assure l’ordre et la liberté, et ouvre à tous les progrès une carrière paisible et illimitée. La monarchie constitutionnelle est le gouvernement vrai de la France et de l’Europe au XIXe siècle. Il est le seul qui réalise la souveraineté du peuple avec vérité et sans secousse, à l’aide d’un roi qui ne meurt point et n’a jamais tort, et de ministres responsables qui changent au gré de la majorité d’un parlement représentant la majorité des électeurs, laquelle à son tour représente la majorité de la nation, en sorte qu’en dernière analyse c’est la nation -qui gouverne, j’entends la vraie nation, intelligente et éclairée, et non pas la masse ignorante, tantôt insouciante et tantôt agitée. Ce beau gouvernement admet sans doute une foule de différences selon les pays et les circonstances, mais il a un type à peu près uniforme qui exprime l’unité de la civilisation européenne.

Telle est l’opinion que j’ai exprimée il y a long-temps. Quand j’ai accepté, professé, défendu la monarchie constitutionnelle, je n’étais pas un enfant, et je l’ai fait par de sérieux motifs qui subsistent tout entiers. Vingt-quatre heures n’ont pas changé des convictions fondées sur la nature des choses et sur les intérêts permanens de la France et de l’Europe.

Je ne connais pas de nos jours un grand esprit qui n’ait été pour la monarchie constitutionnelle, et je voudrais bien savoir quelle autorité se peut opposer à celle de Sieyès, et de Mirabeau dans la révolution, de Napoléon, de Royer-Collard et de Chateaubriand au XIXe siècle.