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suprême il pardonnait à ses ennemis, déclarant qu’il n’avait eu d’autres ennemis que ceux de, l’état. On n’adopte pas une cause politique comme un rhéteur prend un sujet d’éloquence ; ou plutôt on ne prend pas sa cause, c’est elle qui vous prend, c’est elle qui vous pousse et qui vous soutient, c’est elle qui vous rend serein et tranquille au milieu des orages et vous guide à travers les hasards. En politique surtout, rien de grand n’est possible sans la foi et sans l’amour. Celui qui ne sent pas battre son cœur pour les idées qui agitent ses contemporains n’est pas fait pour leur commander qu’il demeure dans la vie privée, qu’il descende du trône sil a eu le malheur d’y naître, et au moyen-âge se retire dans un cloître : de nos jours, et c’est là la beauté de la monarchie constitutionnelle, il lui suffit de prendre dans le parlement représentant la majorité de la nation des hommes pénétrés de l’esprit, de la nation, qui gouvernent pendant qu’il règne. Je me hâte d’ajouter qu’il ne suffit pas d’aimer une cause pour la bien servir, qu’il faut savoir le faire sans fanatisme comme sans pusillanimité, avec constance, mais avec mesure, car sans la mesure il n’y a point de succès durable, et la modération, qui est une si belle vertu morale, est aussi une vertu politique du premier ordre.

Tels sont, à toutes les époques du monde, les moyens permanens et immortels de gouvernement. En les appliquant à notre siècle, à l’Europe et particulièrement à la France, je dis que, depuis 1789, bien gouverner, c’est gouverner dans l’esprit de la révolution française et avec modération, et qu’il faut gouverner ainsi ou périr, république ou monarchie, légitimité ou usurpation, pouvoir élu ou pouvoir accepté. L’origine des gouvernemens n’est pas sans importance ; mais les premiers momens passés, la conduite est tout. Si on gouverne bien, on dure ; si on gouverne mal, on tombe ; et comme il y a plus d’une manière de mal gouverner, on peut tomber très diversement.

On dit que la France est mobile, capricieuse, difficile à gouverner, incapable d’un gouvernement raisonnable ; on l’accuse d’avoir renversé l’un après l’autre tous ses gouvernemens : Autant de mots, autant d’erreurs. La France du XIXe siècle est immuable dans ses vœux ; elle est très facile à gouverner ; elle n’a renversé, aucun de ses gouvernemens, ils se sont tous précipités eux-mêmes.

Depuis que la révolution est accomplie, la France ne veut, ne demande qu’une seule chose, le développement régulier et paisible de ses principes. Un pouvoir qui gouvernerait dans ce sens serait sûr de l’immortalité. Tout gouvernement qui manque à l’une ou à l’autre de ces deux conditions, le triomphe des principes de la révolution et la modération dans ce triomphe, c’est-à-dire la liberté et l’ordre, périt plus ou moins vite selon le degré et dans la mesure même de ses fautes.

Manque-t-il à l’ordre : toutes les classes supérieures et moyennes,