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lementarisme anglais extrêmement estimable ; seulement il la consulte trop, quand il se rencontre quelque chose de difficile à faire en France, il se demande trop scrupuleusement ce qu’on ferait si l’on était en Angleterre, et s’entête à ne pas dévier, d’un iota de son modèle suprême : il est certain que la situation présente diffère du tout au tout, des règles les plus élémentaires de la poétique constitutionnelle ; mais elle n’en irait pas mieux, parce qu’on les lui appliquerait au rebours. Nous ne dirons plus qu’un mot de M. Sainte-Beuve, et nous sommes sûrs qu’il ne le prendra point en mauvaise part : il a un ancêtre dans le parlement, c’est M. Duvergier de Hauranne. Cette filiation intellectuelle aide un peu à comprendre l’acharnement avec lequel il a ouvert l’attaque contre le ministère du 10 avril à peine assis à son banc. On sait le résultat de cette première lutte qui n’a été un succès pour aucun des deux camps. Cinquante deux voix ne donnent pas un brevet de longévité au cabinet qui débute par là ; mais, d’un autre côté, il se pourrait bien qu’on s’aperçoit maintenant, parmi ses adversaires, du mauvais cas où l’on se mettrait en poussant trop vite à sa chute. On a dit que les diverses fractions de la majorité n’étaient point assez solidaire de l’existence et des actes du cabinet. Si c’est là sa faiblesse, c’est peut-être aussi sa raison d’être. Le jour où la majorité le renversera, c’est qu’elle sera prête à en constituer un autre qui l’exprime tout-à-fait ; le renverser à moins ne serait-ce pas chercher la destruction à plaisir, et avec un plaisir trop évident ? C’est sans doute à tous ces titres que les nouveaux ministres ont été assurés, avant même de prendre les affaires, du solide appui des hommes les plus haut placés de la majorité, de ceux qui sont à la fois parmi les plus éminens et les plus sages, ce qui par malheur ne se trouve pu toujours ensemble.

On devait des adieux polis aux ministres intérimaires, qui se sont en général acquittés de leurs charges avec le zèle le plus louable. Nous nous permettrons cependant de dire que ce zèle aurait gagné à se montrer moins au ministère de l’agriculture et du commerce. L’intérim était naturellement un temps d’arrêt forcé pour les affaires ; il n’en a pas moins profité beaucoup dans l’hôtel de la rue de Varennes, à une coterie qui ne perd ni une occasion ni une heure pour consolider l’influence occulte qu’elle exerce : nous voulons parler du comité protectioniste, qui avait un des siens au ministère du commerce. Les derniers jours de l’administration de M. Schneider ont été employés, avec une précipitation singulière à se précautionner non-seulement contre la liberté des échanges qui frappe à la porte, mais contre toute tentative de réduction sur les tarifs. On sait que, depuis la loi de 1849, la liberté de navigation existe en Angleterre ; les Anglais admettent tous les pavillons à participer sur le pied d’une égalité entière au commerce national, mais ils ont indiqué cependant qu’ils comptaient en la réciprocité. Pour décider s’ils obtiendraient ou non cette réciprocité de la France, ou plutôt et plus exactement pour décider qu’ils ne l’obtiendraient pas, M Schneider, au moment de quitter le ministère, a institué une commission où domine en masse l’élite du protectionisme, où siégent les deux chefs avérés de cette église. Ces deux chefs dirigent aussi, de par la même investiture officielle, un conseil de perfectionnement établi sur des bases assez curieuses pour le bien prétendu de l’enseignement industriel ; peut-être ce conseil va-t-il bientôt renouveler le vœu célèbre qu’on formula