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que ce bill n’était pas assez favorable aux agriculteurs, a proposé un amendement qui leur y faisait une plus grande place et signalait leur détresse comme un reproche, au ministère. M. Disraeli entendait donc qu’il fut mis dans la loi qu’en toute occasion où il s’agirait d’alléger le poids de la taxe, « on aurait égard de préférence à la condition malheureuse des propriétaires et détenteurs du sol dans le royaume-uni. » C’est cet amendement qui a failli passer, puisqu’il ne s’en est fallu que de 13 voix, aux vifs applaudissemens de l’opposition.

Ces applaudissemens avaient également accueilli, dans la séance du 8, la proclamation d’un autre scrutin aussi hostile au ministère. Sir Winston Barron demandait que la chambre se formât en comité pour examiner l’état de l’Irlande et aviser aux moyens de l’améliorer ; le ministère combattait cette motion, qui, dans la disposition où se trouvent les membres irlandais à son égard, ne pouvait aboutir facilement à des mesures conciliantes. Le ministère affirmait que l’enquête parlementaire serait inutile, puisqu’on savait tous les maux qui existaient, et inopportune, puisque ces maux diminuaient depuis deux ou trois ans. Quoi qu’il en soit de cette diminution, l’Irlande offre encore sans doute de bien désolans spectacles. Dans les trois dernières années, il y a plus d’un million d’acres de terres productives qu’on a cessé de mettre en culture ; la terre baisse toujours de prix, le niveau moral de la population baisse encore davantage. On voit des workhouses renfermer jusqu’à cinq mille individus à la fois, et le nombre des personnes prévenues de délits ou de crimes augmente dans une proportion effroyable : en 1828, 14,683 ; en 1846, 18,402 ; en 1850, 83,788. Nous donnons, il est vrais les chiffres des adversaires du cabinet et de toute administration whig en général, de ceux qui imputent ces effets désastreux à l’introduction des lois libérales en Irlande. Sir Winston Barron, par exemple, usait de prédilection des argumens protectionistes pour censurer la gestion actuelle de ce malheureux pays. Les membres irlandais ont voté d’emblée sa motion tout en récusant ses argumens ; les protectionistes, qui ne prennent d’ordinaire qu’un assez mince souci de l’Irlande, ont, en l’honneur de ces mêmes argumens, voté comme les Irlandais. De la sorte, le cabinet de lord John Russell s’est vu cette fois réduit au soutien par trop débile de 9 voix seulement, et les Irlandais de se réjouir, comme s’ils avaient quelque chose à gagner, en ruinant les whigs.

Lord John Russell ira-t-il ainsi jusqu’aux élections générales ou sera-ce lord Stanley qui aura mission de les faire ? Plus cette situation équivoque se prolonge, moins on saurait en déterminer l’issue. L’issue est uniquement dans une manifestation solennelle des volontés du pays ; il faut qu’il se prononce, et encore à la condition qu’il parle très ferme, soit pour les réformes de sir Robert Peel, soit pour le retour au régime antérieur. Jusque-là tout languira, parce que les partis morcelés ou décapités n’ont plus assez de prise sur l’opinion pour exercer une action énergique. Lord John Russell est sans doute bien faible par lui-même ; et il a cependant une grande raison de durer encore : c’est l’impuissance avouée de lord Stanley à rien faire de son côté qui ait un résultat. On a comparé très spirituellement le cabinet de lord John Russell au phénomène connu de ces rochers branlans que la moindre impulsion suffit à mettre