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IV. – DE L’ETABLISSEMENT NAVAL A VAPEUR DE LA REPUBLIQUE.

Qu’est-ce que la république pourrait ajouter au royal établissement de notre marine à voiles ? Là tout est créé, tout est constitué ; à nous d’user habilement de ce noble héritage des siècles ; mais à l’égard de la marine à vapeur, élément nouveau de la puissance navale, nous sommes posés tout autrement : la monarchie nous a laissé beaucoup à fonder encore, et l’avenir devra porter les conséquences de nos actes, comme nous supportons aujourd’hui les conséquences du passé. Nous touchons ici au cœur même du sujet qui nous occupe ; il s’agit de jeter les bases de la marine républicaine. Qu’on le sache bien : quand une faute est consacrée par les siècles, on n’en revient pas aisément, on la subit ; c’est une vérité dont on est vivement frappé en sortant de Brest. Nous sommes fondateurs à notre tour : laisserons-nous au hasard des événemens, à de purs accidens, le soin de distribuer sur le sol de notre pays les établissemens nouveau d’où doivent sortir les instrumens de sa défense et de sa gloire ?

Quels sont les élémens constitutifs de la force navale, à vapeur ? Pour le matériel, il y en a trois : — la construction et l’armement des bâtimens, — la fabrication et la réparation des machines, — enfin l’approvisionnement en charbon. Aux établissemens qui fourniront machines et navires nous demandons trois garanties : — existence durable, — excellente exécution, — économie, car l’économie est aussi une puissance. Et dès l’abord se présente une question sans cesse reproduite et qu’on devrait bien vider une bonne fois : « Peut-on se reposer sur l’industrie privée du soin d’alimenter la marine à vapeur de la France ? » Jetez les yeux sur la navigation de la Seine, de la Loire et du Rhône, sur nos côtes, dans nos ports ; quels navires à vapeur emploie le commerce ? Partout vous trouvez un caractère de faiblesse désolante, des machines qui ne dépassent jamais la force de 200 chevaux. Qu’on daigne maintenant se souvenir que tout établissement d’industrie que l’industrie ne suffit pas à alimenter n’est pas viable. Qu’arrive-t-il quand l’état fait à quelque usine particulière une commande hors de proportion avec ses produits habituels ? On l’engage à donner un accroissement accidentel à son outillage ; on y développe une force factice qui ne peut se soutenir d’elle-même ; c’est à l’aide de primes que ce résultat s’obtient. Où donc est l’économie ? et quelle garantie de durée peut offrir un pareil établissement ? Dans notre malheureux pays, sans cesse ébranlé par les révolutions, quelle usine privée vous montre le cachet d’une spéculation à long terme à laquelle vous puissiez confier la défense de la patrie ? Là, tout repose sur l’homme qui dirige ; périsse le chef, et l’établissement croule ou périclite La