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prévoyant fertile en ressources. Il était depuis long-temps l’homme indiqué, et si on lui eût remis les affaires quelques jours auparavant, il eût tout sauvé ; mais le mercredi 23 il était insuffisant, et l’appeler était perdre un temps précieux. À onze heures du soir, M. Molé déclarait au roi qu’il ne pouvait composer un ministère.

Le jeudi 24 février, à deux heures du matin, M. Thiers fut appelé aux Tuileries. Si je suis bien informé, M. Thiers demanda trois choses : 1° qu’on lui permît de s’adjoindre M. Barrot pour la formation du nouveau cabinet ; 2° qu’on promît et qu’on s’engageât à donner une réforme sérieuse ; 3° que la chambre des députés fût dissoute et une chambre nouvelle convoquée. Le roi ne combattit guère les deux premières conditions, mais il rejeta absolument la troisième. M. Thiers la maintint pensant avec raison qu’il lui était impossible de se remettre entre les mains de la chambre qui avait soutenu et pouvait soutenir encore M. Guizot, et que lui refuser la dissolution d’une chambre mal disposée, c’était lui refuser l’indispensable moyen de gouverner : en sorte que le Moniteur du 24 février annonça à la France inquiète et à Paris en feu qu’il n’y avait pas encore de gouvernement !

Je suis convaincu que si le Moniteur du lundi 24 février eût annoncé le cabinet de M. Molé, c’est-à-dire un ministère sagement réparateur et modérément réformiste, les affaires se pouvaient assez facilement rétablir. J’ai cru, je crois encore que si le mercredi, à deux heures, on eût appelé M. Thiers au lieu de M. Molé, si on eût accepté immédiatement ses conditions, si un supplément au Moniteur l’eût fait savoir le soir même, et si le Moniteur du lendemain 24 février eût contenu le ministère de M. Thiers et de M. Barrot avec l’ordonnance de dissolution de la chambre des députés, la crise eût pu être peu à peu surmontée ; mais quand, le 24 février au matin, le Moniteur parut sans ministère, le secret de l’empire fut divulgué, comme dit Tacite, et les amis de la maison d’Orléans purent comprendre que ses destinées allaient s’accomplir.

Cependant M. Thiers avait convoqué le matin aux Tuileries ceux, de ses amis qui devaient faire partie du ministère nouveau. J’arrivai vers huit heures ou huit heures et demie, et quel ne fut pas mon étonnement quand M. Thiers et M. Barrot m’expliquèrent le silence du Moniteur ! M. Barrot eut alors l’idée de se présenter aux barricades, non comme ministre, il ne l’était pas, mais comme homme, avec la seule autorité de son nom, pour arrêter ou ralentir l’insurrection. Je me joignis à lui avec quelques amis. À mon retour aux Tuileries, vers dix heures, je trouvai les choses à peu près dans le même état. Il n’y eut ni ordonnances signées ni sermens prêtés. Tout se passa en conversations vagues, au moins devant moi, car je ne dis que le peu que j’ai vu, et ne réponds pas du reste.