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plus tristes de ce temps-ci ; c’est de voir le peuple choisir pour le représenter des hommes dont aucune classe de la société ne voudrait. Pauvre peuple ! où sont les trésors de mystiques vertus, d’héroïsme naïf qui ont toujours été cachés dans ton sein ? De toi sont sortis des milliers d’ames ardentes et de cœurs religieux depuis l’austère Calvin jusqu’à Ébénézer Elliott, que de réformateurs, de capitaines, de poètes n’as-tu pas produits ! Robert Burns, Hoche, Manceau, et Allais Ramsay, et George Fox, le prophète des quakers, et Jacob Böhme, le mystique cordonnier de Goerlitz, tous ceux-là sont sortis de tes entrailles. Comment se fait-il que précisément à l’heure où l’humanité est secouée jusque dans ses fondemens, il ne se trouve aucun de tes fils pour parler en ton nom ? Comment se fait-il que tu confies tes destinées à des intermédiaires corrompus ou niais ? Tant que tu te confieras à eux, ils te compromettront et te feront doublement mentir. Comme O’Flyn, le journalisme populaire d’Alton Locke, ils mettront leurs violences sur ton compte et lâcheront bride à leurs passions en invoquant ton nom. Ils te pousseront à des actes désastreux, dont tu porteras seul la responsabilité, et, pour parler net, tant que ces êtres méchans et pervertis continueront à te représenter, ils attireront sur toi une seule chose, la guerre.

Alton Locke ne ressemble en rien à nos écrits socialistes. Ce livre est élevé, moral, religieux, bien qu’il y ait çà et là quelques teintes fausses et quelques tons criards ; mais on n’y trouve aucun des caractères de notre littérature subversive, ni cette impertinence, satisfaite d’elle-même, ni ces convoitises rugissantes, ni cette fièvre d’abjection et cet amour des ordures morales qui sont les vertus et les qualités uniques des systèmes et surtout des romans soit-disant démocratiques qui infectent la France. La démocratie d’Alton Locke est une application du protestantisme et non une imitation des doctrines françaises. L’auteur s’en tient, et il a raison, à la charte de Luther ; il recommande aux classes populaires de vaincre la société par leurs vertus morales, et d’élargir l’enceinte sociale à force de sainteté, de respect, de courage et d’amour. La sape et la hache, l’incendie et le carnage y sont maudits et renvoyés à leur maître naturel, le prince du mal. C’est par la réformation intérieure de l’individu qu’elles devront procéder à la réformation de la société, c’est par leur régénération morale qu’elles devront commencer pour régénérer le monde. Tout autre moyen serait vain ; la machine passive et inanimée qui s’appelle gouvernement, monarchie, république, serait abattue, que rien ne changerait, si les hommes conservaient dans un nouvel état leurs corruptions antérieures. C’est en remplissant de sainteté leur foyer domestique qu’ils forceront les rois de la terre à venir déposer leur couronne à leurs pieds. — Certes, tout cela est démocratique, mais non pas socialiste.