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consul des États-Unis, qui, dans toute cette affaire, était fort bien conduit. M. Place paya d’audace et se rendit, tant pour son compte que pour celui de son collègue américain, chez Jimenez, pour le rappeler à l’ordre. Au sortir de cette orageuse entrevue, et comme il allait franchir le seuil de la maison de Jimenez, M. Place s’aperçut qu’on l’avait cernée et qu’une sentinelle avait été postée à la porte principale pour lui barrer le passage. Il reconnut par bonheur dans cette sentinelle un nègre qui avait été son domestique. Au moment où celui-ci faisait le geste de croiser la baïonnette, le consul lui dit sans sourciller et de son ton de maître : « Ote-toi de là, Fermin. — Oui, papa, » dit le nègre, qui, dans l’exagération de sa déférence, fit un brusque soubresaut en arrière. Croyant comprendre à l’attitude de la sentinelle et au sourire que n’avait pu réprimer M. Place que tout avait changé, les soldats postés au dehors ouvrirent par un mouvement involontaire leurs rangs. Jimenez imagina alors de faire ; le siége du consulat, et quarante fusils, comme on le découvrit plus tard, furent portés en secret dans la maison en face. L’apparition d’un petit bâtiment français, le Griffon, vint déranger ces projets belliqueux. Le commandant signifia, dès sa première visite, que, s’il retrouvait fermée la porte par laquelle il communiquait avec le consulat, il l’enfoncerait en dedans à coups de canon.


VI. – EXPULSION DE JIMENEZ. – PRESIDENCE DE BAEZ.

Sur ces entrefaites, Santana était venu bloquer la ville. Accueilli par une centaine de boulets, il ne daigna pas répondre au feu, se contentant de notifier à Jimenez le congé que lui donnaient les municipalités. Un général et le secrétaire de l’archevêché vinrent vérifier les originaux de ces délibérations ; et Jimenez, ne pouvant plus élever le moindre doute sur la réprobation unanime dont le frappait le pays, fit les préparatifs d’une défense désespérée. L’archevêque, vieillard vénérable, très lié avec Santana, mais qui tremblait de voir couler le sang de ses ouailles, voulait se porter, en habits pontificaux et le saint sacrement à la main entre les combattans, pour fulminer une excommunication solennelle contre le parti qui ouvrirait le feu, et il pria M. Place de l’accompagner de notre drapeau dans un débat purement intérieur aurait eu d’illégal et d’insolite, cette menace d’excommunication ne pouvant malheureusement aboutir qu’à une chose : à faire rester les deux partis en présence et l’arme au bras, à ajourner toute solution, à prolonger indéfiniment un état de choses intolérable. Notre consul fit toutes ces objections au pacifique prélat, qui renonça à son projet. Santana jugea d’ailleurs, de son côté, que l’attaque était inutile : les