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admirateurs de la peinture impériale n’ont pas renoncé à leurs anciennes croyances, les doctrines qu’ils ont soutenues leur semblent encore seules vraies et dignes de foi ; mais leur conviction a pris le caractère de la piété filiale : ils parlent du passé avec respect, du présent sans amertume ; ils déplorent entre eux la ruine de la vraie religion et n’essaient plus de convertir les impies. Les disciples de Géricault, tout en gardant pour le maître qu’ils ont choisi, ou plutôt don le nom est pour eux un signe de ralliement, une dévotion fervente, ne parlent plus avec le même dédain, avec la même injustice de la peinture impériale, et reconnaissent les services rendus à l’art par le savoir et la volonté persévérante de David. Si Guérin et Girodet n’ont pas retrouvé la popularité dont ils jouissaient sous l’empire, Eylau et Jaffa, les Sabines et Léonidas sont aujourd’hui estimés à leur juste valeur. Les peintres mêmes qui sont engagés dans une voie toute différente ne refusent pas le tribut de leur admiration à ces œuvres habiles. Il semble donc que le temps soit venu de prononcer un jugement équitable sur le talent de Géricault et de marquer sa place dans l’histoire esthétique de notre siècle. Ceux pour qui le Radeau de la Méduse était un signe de décadence, comme ceux qui voyaient, dans cette composition inattendue un signe de progrès, prêtent volontiers l’oreille aux doctrines qu’ils n’approuvent pas ; il y a des deux parts une tendance vers l’impartialité. Au lieu d’hymnes ou d’invectives, la critique peut maintenant discuter ce qui mérite les honneurs de la discussion, blâmer ou louer ce qui appelle le blâme ou la louange. Personne, je crois, ne peut regretter l’amertume et la colère qui passaient, il y a vingt-six ans, pour des argumens sérieux. La franchise, l’indépendance, la ferme résolution de relever avec le même soin les défauts et les qualités de l’œuvre la plus éclatante, valent bien, aux yeux de la raison, l’admiration préconçue et le dénigrement qui résiste à toutes les épreuves, même à l’épreuve de l’évidence.

Pour bien comprendre le rôle de Géricault dans la peinture française, il ne suffit pas de l’étudier en lui-même ; une telle méthode ne conduirait qu’à une vérité incomplète. L’analyse la plus attentive ne nous apprendrait pas ce qu’il a voulu renverser, ce qu’il a voulu édifier. Géricault, réduit à lui-même, séparé de son maître, isolé du mi lieu où il s’est produit, ne laisse dans l’esprit qu’une notion stérile. Pour marquer sa place, pour caractériser nettement l’influence qu’il a exercée sur l’école française, il faut commencer par déterminer les principes qui présidaient à l’enseignement de la peinture, quand Géricault, malgré la résistance de sa famille, quitta les livres pour le pinceau. Sans l’accomplissement de cette condition préliminaire, il est impossible d’expliquer pourquoi, dans la plupart de ses œuvres, l’exécution ne s’accorde pas avec la conception, pourquoi la main est plus