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qui est une partie essentielle de l’ordre constitutionnel, peut porter à la tribune, dans la presse, dans les libres associations, dans toute la vie publique, ses droits, ses griefs, ses prétentions, et aspirer à son tour au gouvernement de l’état. Otez la royauté, et les partis, j’entends les partis honnêtes, ne peuvent plus aller jusqu’au bout de leurs forces, de peur d’enflammer les esprits et de provoquer des désordres. Dans une maison où la clé de voûte manquerait, on n’oserait pas remuer, de peur d’ébranler et de renverser tout l’édifice. Allez donc aujourd’hui contredire énergiquement l’autorité, quand elle est si faible, si précaire, si mobile ! Autre danger. Comme dans une république, le chef du gouvernement est élu par les citoyens tout comme les députés, il peut fort spécieusement répondre à leurs remontrances qu’il est l’élu de la nation, que c’est à la nation seule à le juger, et qu’il n’a que faire, de leurs tracasseries, en sorte qu’il peut affecter impunément une sorte de dictature, s’il a de l’énergie ; ou, s’il est faible, il se laisse entraîner, dans les sens les plus opposés, par les agitations populaires les plus superficielles, et nous voilà retombés dans tous les inconvéniens du gouvernement personnel qui vous ont fait supprimer la monarchie. En 1830, nous avons très sérieusement agité ce problème, et on me permettra de persister dans la solution qui alors en fut adoptée. Cette solution me paraît encore la vraie : c’est celle du XIXe siècle et de toutes les grandes nations civilisées en Europe. Or, en définitive, la France aura le gouvernement de l’Europe, ou l’Europe le gouvernement de la France. J’avoue que j’ai peine à me défendre d’un peu d’irritation contre les dernières années de la monarchie de juillet, qui ont compromis, en l’altérant, la plus belle forme de gouvernement que le génie humain ait trouvée, celle qui concilie dans un accord admirable la stabilité et le mouvement, une autorité indéfectible avec un progrès perpétuel, et qui prévient les révolutions en assurant toutes les réformes nécessaires. La durée d’une pareille forme de gouvernement méritait bien, ce semble, la rançon modeste de soixante et même de cent mille électeurs de plus.

Ainsi, nous croyons l’avoir établi : la France n’est pas difficile à gouverner ; elle ne demande qu’à l’être. Elle ne renverse point ses gouvernemens ; ce sont eux qui comme à plaisir conspirent contre eux-mêmes. Elle est immuable dans ses voeux, qui sont les instincts du siècle justifiés par la raison. Elle veut sa souveraineté ; elle veut l’égale liberté de tous ses enfans ; elle est fière de la grandeur, de la gloire, de la fortune même de quelques-uns d’entre eux ; en même temps, elle souffre de la misère et des vices qui en dégradent encore un si grand nombre et elle veut qu’on s’occupe sérieusement de leur soulagement et de leur amélioration. Elle a reçu de la main des siècles et elle perfectionne sans cesse cette magnifique, unité nationale que l’Europe nous