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jamais été dépassé par aucun de ses tableaux ; on peut, sans s’exposer au reproche de malveillance, demander où se trouve le type de la couleur choisie par l’auteur de cette composition ; mais, à quelque sentiment, qu’on s’arrête sur les doctrines professées par David, on ne peut méconnaître dans le Marcus Sextus une véritable puissance d’expression, et, ce qui ajoute encore à l’évidence du mérite que je signale, c’est la manière incomplète dont les figures sont modérées. On trouverait sans peine aujourd’hui, parmi les hommes de vingt-cinq ans voués à l’étude de la peinture, une main plus habile et plus savante on trouverait difficilement une intelligence capable de concentrer sa pensée avec autant d’énergie. La douleur, le désespoir, sont exprimés dans le Marcus Sextus avec une âpreté, une grandeur qui justifie la popularité acquise à Guérin par cet ouvrage. Quant à l’insuffisance du dessin, quant à la manière incomplète dont les figures sont modelées, il suffit pour les expliquer de se rappeler que Guérin, bien que ne sous la domination de David, n’avait pourtant pas étudié dans son atelier. Après quelques mois passés chez un peintre obscur du nom de Brenet, il était entré chez Regnault. Or, personne n’a jamais songé à mettre l’Éducation d’Achille a Scyros sur la même ligne que les Sabines pour la sévérité du dessin. Quoique Regnault partageât avec David et Vincent le gouvernement de l’école française, il n’a jamais eu ni par son enseignement, ni par ses ouvrages, l’autorité qui appartenait au chef de l’école. Il ne faut donc pas s’étonner que Guérie, instruit par les leçons de Regnault, n’ait pas trouvé pour sa pensée une forme plus précise. Privé des secours d’une éducation littéraire, mais nourri de la lecture des historiens et des poètes de l’antiquité, la main chez lui n’était pas à la hauteur de la pensée. Il concevait mieux et plus fortement qu’il ne savait rendre, et pourtant, quoiqu’il n’eût pas vécu sous la sévère discipline de David, il a mis dans son Marcus Sextus une franchise, une évidence d’expression qui émeut profondément. Or, si l’émotion des spectateurs ne démontre pas l’excellence de l’œuvre sous le rapport technique, elle prouve du moins qu’il y a chez le peintre un sentiment poétique très développé, et je ne crois pas qu’à cet égard le Marcus Sextus puisse laisser aucun doute dans les esprits les plus incrédules.

Phèdre et Hippolyte, Andromaque et Pyrrhus, sont bien loin de valoir l’ouvrage dont je viens de parler. La pantomime des personnages a quelque chose de théâtral dans l’acception la plus vulgaire du mot. Au lieu de s’inspirer, pour traduire sur la toile deux tragédies de Racine, du modèle que Racine lui-même avait consulté, au lieu de relire et de méditer l’Hippolyte et l’Andromaque d’Euripide, Guérin a demandé à ses souvenirs de théâtre tous les élémens de ces deux compositions, et tous ceux en effet qui ont vu Talma et Mlle Duchesnois les